laume II est resté à Vienne, on n’a rien dit, on a respecté l’hôte de l’empereur, le souverain qu’on venait de fêter. A peine a-t-il eu quitté les bords du Danube pour continuer ses voyages et gagner en jeune triomphateur les rives plus favorables du Tibre, une sorte de coup de théâtre a éclaté soudainement à Vienne. Si les Allemands, les Hongrois avaient compté que les témoignages d’hostilité ou de défaveur de l’empereur Guillaume allaient affaiblir la position ministérielle du comte Taaffe et ruiner son crédit, ils se sont trompés.
C’est, au contraire, le comte Taaffe qui a pris sa revanche par un acte de virile autorité qui ne s’est pas fait attendre. Il a aussitôt reconstitué son ministère, sinon dans un sens absolument anti-allemand, du moins dans un sens plus conservateur et plus fédéraliste. Il a donné un vigoureux coup de gouvernail en appelant au pouvoir M. de Zaleski, comme ministre de la Galicie, à la place de M. de Ziemiaikowski, le dernier survivant d’un ancien ministère libéral du prince Auersperg, en élevant surtout au ministère de la justice le comte Frédéric de Schœnborn, qui est un des chefs les plus actifs du parti tchèque. On peut dire, sans doute, que c’est une opération de tactique parlementaire, que le comte Taaffe a été obligé de réorganiser son cabinet pour faire face à une situation difficile, pour mieux s’assurer une majorité qui allait lui manquer dans le Reichsrath. C’est possible ; il n’est pas moins vrai que cette reconstitution ministérielle, telle qu’elle s’est accomplie, a coïncidé avec ce qui venait de se passer à Vienne, et la coïncidence est d’autant plus significative qu’elle est accompagnée d’une autre coïncidence : c’est ce même moment, en effet, que l’empereur François-Joseph a choisi pour donner le grand-cordon d’un de ses ordre ^ à un autre disgracié, au baron Possinger, qui n’était coupable que d’avoir exécuté énergiquement ses instructions. Les deux alliés couronnés sont à deux de jeu. L’empereur Guillaume a paru peut-être un peu trop intervenir, par ses fantaisies ou ses préférences, dans les affaires intérieures de l’Autriche. L’empereur François-Joseph, sans manquer à la courtoisie, a tenu à montrer qu’après tout il entendait rester maître chez lui.
Voilà donc ce que cachent quelquefois les voyages d’ostentation ! Tous les incidens ne sont pas prévus par les programmes. Le premier résultat du passage retentissant de l’empereur Guillaume à Vienne est tout le contraire de ce qu’on aurait désiré, de ce qu’on se flattait peut-être d’obtenir. Loin de ressembler à un succès pour l’influence allemande, le ministère remanié par le comte Taaffe accentue la politique conservatrice féodale, fédéraliste, que le président du conseil s’étudiait jusqu’ici à modérer. Le nom le plus significatif du nouveau ministère est visiblement celui du comte Frédéric de Schœnborn, dont la famille est depuis longtemps dans l’intimité et dans la faveur de la cour, qui, par lui-même, est un homme instruit,