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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/238

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jours à savoir ce qu’on appelle réussir, en quoi et jusqu’à quel point les voyages de l’empereur Guillaume ont réussi. Ils ont eu l’éclat de la mise en scène, la beauté de la mer et du ciel à Naples, le cadre un peu confus des grandes ruines à Rome, la pompe des étiquettes traditionnelles dans la plus vieille des cours, à Vienne, le brouhaha des défilés populaires ; on ne voit pas qu’ils aient réellement rien changé, qu’ils aient donné une force de plus au système de diplomatie qui a fait les alliances de l’Europe centrale. Ce qui existait avant entre grands empires existe après et n’avait pas besoin de ces bruyans déplacemens faits pour la vanité, pour l’ostentation plus que pour la politique sérieuse. Les voyages sont les plaisirs des princes, surtout des princes jeunes ; ils sont aussi un danger, et quelquefois au lieu d’attester l’intimité des alliés, ils finissent par laisser éclater les plus singulières dissonances. Les rapports de l’Allemagne et de l’Autriche sont et resteront ce qu’ils étaient ; on ne conviendra pas moins que le récent passage de l’empereur Guillaume à Vienne a été marqué d’assez bizarres incidens et qu’il a eu surtout, dès le lendemain, un épilogue passablement imprévu.

Tout a été sans doute brillant et correct à la cour devienne, tout a été préparé pour faire fête à l’hôte impérial qu’on allait recevoir, qu’on entendait toutefois recevoir comme un hôte, non comme un maître. Évidemment le vieux chancelier de Friedrichsruhe manquait là comme il allait manquer à Rome, et il n’a été suppléé qu’insuffisamment par son fils, le comte Herbert de Bismarck auprès de son empereur. Guillaume II, cela est bien clair, a agi un peu en jeune homme, en prince volontaire à la cour d’un souverain ami. Il a répandu les faveurs et les distinctions autour de lui. Il a prodigué ses décorations à tous ceux qui lui ont plu, au chef du cabinet hongrois, M. Tisza, à M. de Kalnoky, au bourgmestre de Vienne, à bien d’autres encore : c’est une politesse de souverain en voyage. Seulement le jeune souverain allemand s’est cru permis, étant en visite oflicielle, de mettre un certain esprit, peut-être personnel, peut-être un peu politique, dans ses choix et dans ses exclusions parmi les serviteurs du prince dont il recevait l’hospitalité. Il a trouvé tout simple de refuser avec affectation ses faveurs au propre président du conseil de l’empereur François-Joseph, au comte Taaffe, et au gouverneur de la basse Autriche, au baron Possinger, qui avait été chargé d’empêcher que les manifestations allemandes préparées en faveur du jeune visiteur impérial ne prissent un caractère offensant pour l’Autriche. Guillaume II prenait un peu étourdiment le rôle d’un capricieux dispensateur des grâces dans une cour alliée, et semblait laisser percer ses préférences politiques dans les affaires intérieures de l’Autriche. Ni le comte Taaffe, ni le baron Possinger n’avaient été décorés. Jusque-là c’était un fait connu, vivement commenté à Vienne ; mais voici où l’incident a des suites et devient plus piquant. Tant que Guil-