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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/339

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de l’expropriation pour cause d’utilité publique. Le droit individuel, si respectable qu’il soit, ne peut tenir absolument en échec un intérêt commun qui est évident et notable. D’autre part, la violence faite au droit individuel, dans l’intérêt commun, ne doit être qu’une mesure extrême à laquelle on ne recourt que dans des cas tout à fait graves et pour une utilité qui n’est susceptible d’aucune contestation sérieuse. Ce droit d’expropriation, l’état est le seul, en principe, à le posséder. Il en peut déléguer le délicat exercice à des syndicats de propriétaires ; encore doit-il apporter beaucoup de prudence dans cette délégation, exiger des conditions de majorité et de délais qui assurent que le droit individuel ne sera pas légèrement sacrifié.

En dehors de l’hypothèse que nous venons de faire, il en est une autre, dont la réalisation est également fréquente, et qui justifie une réglementation de la part de l’état. Il est rare qu’une grande entreprise de travaux publics n’ait pas besoin d’emprunter une partie du domaine de l’état, qu’elle ne soit pas ainsi, sous un certain aspect, son obligée et sa cliente. Il lui faut donc faire appel à l’obligeance de l’état, par conséquent se soumettre aux règlemens qu’il plaira à celui-ci d’édicter. Il n’y a guère que les pays tout à fait neufs, sans population et sans voies de communication, où les grandes entreprises libres échappent à cette nécessité. Ainsi, quoi qu’on fasse, l’état, dans les vieux pays surtout, a toujours un certain rôle à jouer dans les travaux publics ; l’ouverture ou l’étroitesse d’esprit des hommes qui sont au pouvoir, leur bonne ou leur mauvaise humeur, influent dans des proportions considérables sur le sort même des entreprises libres.

Au point de vue de cette réglementation, on peut pécher par abstention ou par excès. Il semble que, jusqu’à ces dernières années, aux États-Unis d’Amérique, on ait péché par abstention, en ne soumettant, par exemple, les concessions de chemins de fer à aucune limite de durée, en n’assujettissant à aucune surveillance, à aucun contrôle, à aucune règle, la gestion de ces compagnies, qui avaient eu besoin de l’état, cependant, pour constituer leur réseau grâce à l’expropriation publique, qui parfois, en outre, avaient reçu de lui des dons considérables de terres domaniales. On réagit maintenant en Amérique contre cette absolue indifférence de l’état; la constitution d’une grande commission, comme celle qui, depuis une quinzaine d’années, fonctionne en Angleterre, pour établir et faire respecter par les compagnies de voies ferrées certaines règles de simple équité et de bonne harmonie, est un retour à l’une des naturelles fonctions de l’état. En France, au contraire, on a toujours péché par excès d’intrusion, en ne permettant pas aux particuliers qui sont d’accord entre eux de faire des entreprises d’utilité commune