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bien moins dispendieux, plus justifié dans un pays neuf, contre lequel, cependant, proteste aujourd’hui la plus grande partie de l’opinion américaine. différens états, imitant la fédération, ont inscrit dans leurs constitutions un article qui interdit à leurs législateurs de garantir des emprunts privés. On peut donc considérer le magnifique réseau des chemins de fer aux États-Unis comme la plus merveilleuse œuvre de l’initiative particulière, presque sans assistance publique, ou du moins avec un minimum d’assistance qui est en complète opposition avec la pratique du continent européen. Grâce à l’esprit d’association libre, plus fécond encore que la puissance des capitaux, à l’absence aussi de formalités vexatoires et dilatoires, le réseau ferré américain a toujours été en avance sur celui des autres nations et, depuis vingt ans, il a presque toujours équivalu, comme longueur kilométrique, à l’ensemble des lignes de tout le reste du monde. Il comprenait 14,500 kilomètres exploités en 1850, 49,000 en 1860, 85,000 en 1870, 148,000 en 1880, 205,000 en 1885, enfin 220,000 kilomètres en chiffres ronds en 1886. Malgré le prix plus élevé qu’en Europe de la main-d’œuvre, du fer et, jusqu’à ces derniers temps du moins, des capitaux, malgré aussi des procédés souvent condamnables de majoration du capital des lignes au profit des fondateurs ou des directeurs, les 200,000 kilomètres (125,152 milles) de voies ferrées qui existaient aux États-Unis en 1884, n’avaient coûté comme frais de construction et d’établissement que la somme totale de 7 milliards 676 millions de dollars, soit moins de 40 milliards de francs, ce qui représente une dépense kilométrique de 38,400 dollars environ, ou 204,000 francs approximativement[1], moins des deux tiers du coût d’établissement des chemins de fer français.

Le continent européen, entravé par les habitudes administratives gouvernementales, par les lisières où l’on y a toujours tenu l’initiative individuelle, par la timidité et l’inexpérience de l’esprit d’association, ne pouvait que suivre d’un pas tardif et pesant le magnifique exemple d’activité féconde que lui donnaient les grandes nations jouissant d’un régime civil traditionnellement libéral, l’Angleterre et les États-Unis. Ce dernier pays avait réalisé dans l’établissement de ses voies ferrées les trois conditions idéales : la rapidité, l’efficacité, le bon marché. L’Angleterre avait obtenu la première et la seconde sans la dernière. Le continent européen, enveloppé dans les préjugés, le formalisme administratif, l’orgueil des pouvoirs publics, à la fois prétentieux, indécis et envieux, était destiné à ne pouvoir atteindre dans la constitution de son réseau

  1. Statistical abstract of the United States, 1886, pages 186 et 187.