Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/381

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’abord, puis qui retentit à travers la maison silencieuse, glaçant les veines de Ramsès. Celle-ci n’eut pas l’idée d’aller à elle, mais resta au contraire sur le lit de camp qu’elle s’était improvisé pour la nuit, les bras serrés autour de son propre corps et murmurant dans son jargon nègre, entre ses dents qui claquaient : « Miss Barbara est devenue folle! folle! Que faire d’elle, mon Dieu?.. que faire d’elle?..

Tout à coup il parut à Barbara que quelque présence resplendissante l’enveloppait, lui soulevant le cœur à deux mains pour ainsi dire. Elle plongea des regards ardens au plus profond de l’obscurité, elle tendit les bras à ces ténèbres qui semblaient l’étreindre.

Les petits bruits de chaque jour vinrent distraire son attention, le crépitement du feu qui s’écroulait, le soupir d’une brise qui s’était levée dans les branches des tulipiers, le frôlement de quelque objet menu qu’une souris traînait sur le parquet. Elle se redressa sur son séant, les bras tendus de nouveau, et sentit comme une chose actuelle et certaine le poids d’une tête bouclée sur son sein : — Oh! Val, dit-elle tout bas, ô mon Val à moi, mon adoré, cher mien, reste; sois avec moi dans cette obscurité, ici où tu m’aimais. Je n’aurai pas peur,.. non, pas la moindre peur... Ah! Dieu ! il ne m’entend pas, il ne peut plus m’entendre, il ne m’aime plus.

Et, se jetant à demi hors de son lit d’enfant, elle embrassa le lit nuptial, le grand lit d’acajou placé tout près, les lèvres collées au couvre-pied de soie.


II.

Rosemary, avec ses portraits de famille et l’épinette dont miss Fridis tire des sous fantastiques durant les après-midi du dimanche, est un vieil endroit exquis pour y mourir, mais non pas pour y vivre. Or Barbara Pomfret est vivante et très vivante, en dépit du deuil dont elle se débarrasse d’ailleurs quelquefois. Elle étoufferait à Rosemary dans la société paisible de sa tante Fridis, si elle ne s’échappait de temps à autre pour de longues courses en forêt dont elle revient avec un appétit tel qu’elle dévore à elle seule pour son souper deux perdrix accompagnées de biscuits sans nombre et arrosées de trois tasses de thé. Les forêts virginiennes, en octobre, sont aussi belles que pouvaient l’être les forêts de l’Éden, plus belles même, car la verdure éternelle du Paradis terrestre ne devait jamais former en tombant ces montagnes de feuilles rousses dans lesquelles le promeneur enfonce jusqu’au genou. C’est peut-être la difficulté de traîner ses robes de crêpe dans ce tapis trop moelleux