Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/386

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il ne se soucierait plus d’aucune des choses terrestres et délicieuses auxquelles il avait tenu jadis si passionnément. Elle joignit les mains au-dessus de sa tête, les tordant avec angoisse. La certitude qu’il était désormais un esprit, une essence purifiée, une âme sans corps, lui était odieuse; elle éclata en sanglots, tantôt demandant la mort, tantôt priant Dieu de la rompre à sa volonté souveraine. »

Il est aisé de voir, par ce genre de douleur, que Dering a des chances presque assurées. D’abord il ne se doute guère de l’effet qu’il produit, il revient prendre des nouvelles de Barbara, qui s’arrange pour ne pas le recevoir ; mais un hasard les remet en présence dans les bois où, assise entre les branches fourchues d’un vieux chêne, elle joue avec ses lévriers ; et, cette fois, dès les premières paroles échangées, une aimable familiarité s’établit. Dering lui avoue très librement l’admiration qu’il a pour sa beauté opulente et sensuelle, la crainte qui lui est venue devant la froideur de son premier accueil qu’elle ne l’eût pris en grippe; puis, rassuré, il abuse du slang dont il a l’habitude, et qu’il emploierait malgré lui, prétend-il, avec le Dieu tout-puissant. Barbara n’en paraît nullement scandalisée; elle a peur seulement qu’il ne remarque l’ivresse qui l’a saisie, lui faisant croire qu’elle est réellement en présence de son mari. Au fond, elle sait que ce n’est qu’une illusion, « le ciel reflété dans une flaque d’eau, » mais cela suffit pour qu’elle frémisse et se sente de nouveau près de s’évanouir (l’évanouissement joue un grand rôle dans ce récit), quand Dering l’aide à descendre de son arbre. Ce sont les robustes épaules de Val qui sont sous ses mains, c’est la manière qu’avait Val de la soutenir, de veiller sur elle tendrement avec ces précautions minutieuses qui ravissent les femmes, « qui leur suggèrent la comparaison d’un marteau à vapeur employé à casser délicatement des amandes, en leur montrant sous sa forme protectrice le pouvoir qui si facilement les écraserait. »

Miss Amélie Rives se complaît à rendre la séduction de la force masculine, et parfois dans des termes d’une extrême énergie. Cette qualité des muscles ne lui semble pas à dédaigner non plus chez la femme, car, dès leur première promenade en tête-à-tête, Barbara fait tâter son biceps au sosie de Valentin, pour lui prouver qu’elle est capable de nager contre le courant. Ils marchent très près l’un de l’autre à travers un terrible ouragan, et cet ouragan qui fait tout craquer autour d’eux, arrachant les branches, menaçant de déraciner les arbres eux-mêmes, Barbara l’aime : — Cela me secoue, dit-elle, cela m’éveille. On ne peut penser beaucoup dans ce désordre, en dehors des impressions électriques pour ainsi dire