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que lui-même provoque. — Dering, lui aussi, aime l’ouragan, qui semble lui verser un breuvage magique, et, sous son influence, ces deux êtres faits pour s’entendre échangent des aveux assez bizarres sur leurs diverses sensations. Celles de Barbara ne peuvent se révéler tout entières ; il lui semble causer avec son mari inopinément sorti du tombeau, et assis auprès d’elle au bord de sa fosse où elle lui rend visite à la manière des goules. Ceci excuse un peu sans doute les inconscientes libertés qu’elle permet à Dering, qui comprend vaguement ce qui se passe en elle. Peut-être cette divination, si confuse qu’elle soit, empêcherait-elle un être délicat et fier de revenir tous les jours à Rosemary, mais le genre de délicatesse et de fierté qui gâterait leur plaisir est assez rare chez les hommes. Dering devient donc le compagnon assidu de Barbara, et ils jouissent sans contrainte du tête-à-tête, la maîtresse du logis, tante Fridis, étant toujours invisible, en vertu d’une loi tacite qui règne en Angleterre et qui s’accentue en Amérique : jamais les grands-parens ne gênent la jeunesse ; ils sont comme n’existant pas. Tante Fridis se relègue d’elle-même dans la bibliothèque, et Barbara reçoit Dering dans le salon, légèrement vêtue parfois, prodiguant à ses yeux éblouis des trésors qui n’ont rien d’immatériel sous la transparence de négligés pittoresques. Tandis qu’ils lisent au hasard Browning, leurs deux têtes rapprochées au-dessus du même livre, les cheveux bruns de Dering semblent s’élancer vers les boucles dorées de Barbara comme s’ils possédaient une vie qui leur fût propre. En vérité, le magnétisme ne saurait aller plus loin. Un jour, ils tirent un horoscope, tout en déchiffrant les lignes de leurs mains, et nous apprenons que la main de Barbara est longue, mince et ferme, avec des ongles parfaitement bien tenus, mouchetés çà et là de petites taches blanches, « une main qui vous effleure plus doucement que les lèvres de bien d’autres, et dont le duvet même semble respirer. » L’entretien avec une personne pourvue de mains semblables ne peut être purement spirituel. Barbara dit à John Dering sa joie de n’avoir pas d’enfant dans son veuvage, et il la comprend beaucoup mieux que nous ne la comprenons nous-mêmes ; elle s’habille de blanc pour lui plaire, et quoique sous ce blanc elle fasse un peu l’effet d’une statue colossale, Dering s’étonne de l’avoir trouvée autrefois trop forte et trop grande. Il compare à la Vénus de Milo cette superbe créature naïve et gaie, en dépit de son grand chagrin, qui d’ailleurs est favorable à l’intimité,

« Jeune homme, si tu veux avoir une jeune femme pour amie, choisis-en une qui ait éprouvé quelque grande douleur. » Le conseil n’est pas mauvais : il y a les heures d’épanchement, les confidences, les pleurs essuyés, après quoi le beau temps succède à