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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/423

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aux yeux de l’auteur des Pensées c’est précisément ce que celui du Discours sur la méthode a laissé en dehors de la science et de la philosophie. Ce qui est secondaire ou accessoire dans la philosophie du second, c’est ce qui fait le tout de celle du premier. Et tandis qu’enfin Descartes nous convie de toutes les manières à sortir de nous-mêmes pour nous répandre dans l’univers, Pascal n’a d’ambition que de ramener l’homme à lui-même.

Autre différence, non moins profonde et non moins caractéristique. Tandis que Descartes et ses disciples n’ont à la bouche, ou sous la plume, que la toute-puissance de la raison, au contraire il semble que Pascal éprouve un âpre et cruel plaisir à en démontrer la faiblesse et la vanité. C’est où l’on a cru voir quelquefois un signe ou une conséquence de son scepticisme, et justement c’est ce qui démontrerait, s’il en était besoin, la sincérité et la solidité de sa foi. Pour croire au Dieu qu’il enseigne, Pascal n’a pas besoin de longs raisonnemens, ni de « preuves » de son existence, et rien n’excite, dans ses Pensées, sa verve sarcastique et hardie comme cette prétention de lui « démontrer » Dieu. Est-ce que l’on prend Dieu pour un théorème? et la vie pour une espèce de géométrie, à peine plus délicate que l’autre ? — « Les preuves de Dieu métaphysiques, — et il entend évidemment celles que Descartes a données, — sont si éloignées du raisonnement des hommes, et si impliquées, qu’elles frappent peu.» — Quant à celles que l’on a tirées quelquefois de l’ordre de la nature, c’est — « donner sujet de croire que les preuves de notre religion sont bien faibles, et je vois par raison et par expérience que rien n’est plus propre à en faire naître le mépris.» — Quel dommage que Port-Royal, dans son édition des Pensées, ait cru devoir atténuer ici l’expression de Pascal! Fénelon, mieux averti, n’aurait peut-être pas écrit la première partie de son Traité de l’existence de Dieu.

Et, encore, si c’était seulement dans les choses de la religion ou de la morale que l’humaine raison bronchât à chaque pas ! mais ailleurs, dans le domaine même de la science ou de l’expérience, quelle est donc son autorité? Nous ne savons rien, nous n’entendons rien. — « L’homme n’est qu’un sujet plein d’erreur, naturelle et ineffaçable. » — Tout ce que Montaigne a dit dans cette célèbre Apologie de Raymond Sebon est vrai, — « que les sens et la raison, outre qu’ils manquent chacun de sincérité, s’abusent réciproquement l’un l’autre; » — Et même, humainement parlant, il n’y a que cela de vrai. Si l’imagination est maîtresse d’erreur, la raison est institutrice d’orgueil. — « j’avais passé longtemps dans l’étude des sciences abstraites, et le peu de communication qu’on en peut avoir m’en avait dégoûté. Quand j’ai commencé l’étude de