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méthode n’est plus en vérité qu’un faiseur de systèmes, dont les « tourbillons » et les « idées innées » n’ont pas plus de valeur à leurs yeux que les « universaux ou les « quiddités » de la scolastique. La vraie, l’unique méthode, la méthode expérimentale date pour eux de Bacon et du Novum Organum ; la connaissance de l’homme, de ses facultés, du mécanisme de l’esprit, de l’origine et de la formation des idées, n’a commencé qu’avec Locke et l’Essai sur l’entendement humain; et quant à celle du système du monde, elle ne remonte pas au-delà de la publication du livre des Principes. En d’autres termes, — et c’est ce qui les rend si souvent si insupportables à lire, — la science est née avec leur siècle même, et rien ne compte pour eux que ce qu’ils ont eux-mêmes vu naître, pas plus Galilée que Descartes, Kepler que Leibniz, et Tycho Brahé que Malebranche. Heureusement que cela même nous avertit de leur erreur, et, si l’on peut ainsi dire, du point précis où ils la commettent. Pour nous rendre compte du principe de leur illusion et pour rétablir la vérité contre elle, nous n’avons en effet qu’à bien voir comment ils en sont devenus dupes.

A la faveur des querelles de religion qui avaient rempli les dernières années du XVIIe siècle, et au cours desquelles il s’en était fallu d’assez peu que le même roi qui révoquait l’édit de Nantes et qui proscrivait le jansénisme ne se détachât du saint-siège, en entraînant ses peuples avec lui, les « libertins » ou les « esprits forts » avaient repris lentement quelque chose de leur ancienne audace. Ils avaient vu misérablement échouer ces tentatives de réunion entre catholiques et protestans dont Bossuet en France et Leibniz en Allemagne avaient voulu prendre l’initiative. Des prélats maladroits, au premier rang desquels on ne saurait hésiter à placer Fénelon, en persécutant le jansénisme à outrance, semblaient avoir travaillé pour ôter à la religion ce qui en faisait en quelque sorte le principal support et le nerf. Enfin, le même Fénelon, et Bossuet, aussi lui, avec leur mémorable querelle du Quiétisme, par la vivacité de leur polémique et leur acharnement réciproque, avaient, — comment dirai-je ? — scandalisé les âmes pieuses, et moins indigné qu’encouragé dans leur libertinage tous ceux qui semblaient attendre que la religion se divisât une fois de plus contre elle-même. Mais ce qui paraissait plus démontré que tout le reste, et ce qui faisait la joie des rares spinosistes et des nombreux cartésiens d’alors, de Fontenelle, par exemple, et de Bayle, c’était l’impossibilité d’accorder la raison et la foi, ou en d’autres termes, l’échec de l’œuvre à laquelle il semblait que le XVIIe siècle se fût particulièrement employé. On tenait désormais pour certain que la raison, fière de ses progrès, n’abandonnerait plus