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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/443

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d’autre juge que celui qui tient, à ce moment, l’emploi de chef d’état-major-général, à l’ordinaire général très jeune de grade, et se croyant trop peu autorisé pour se permettre de critiquer les chefs de corps d’armée.

Ceux-ci, assurés de l’approbation qui sera donnée à leurs conceptions, se préparent à marcher, à cantonner et à combattre comme s’ils commandaient une armée de 150,000 hommes, et imaginent, pour couronner leurs manœuvres, quelque représentation où se brûlera beaucoup de poudre, à la grande satisfaction des spectateurs émerveillés. Le but vrai des manœuvres, l’instruction des officiers, surtout des plus élevés en grade, dans un cadre d’opérations qui puissent ressembler à la réalité de la guerre, se trouve faussé, au plus grand détriment de la juste notion que chaque chef doit acquérir de son rôle.


Trouverons-nous du moins, dans la direction des manœuvres, cette unité de vues, ce contrôle sévère qu’on n’a pas su faire présider à leur conception? Eh bien ! non.

La direction, dans le cadre établi pour les opérations, devrait appliquer et imposer l’observation, à tous les degrés de la hiérarchie, des règlemens en vigueur. C’est ainsi du moins que les choses se passent dans les armées étrangères. Il n’y viendrait à l’idée d’aucun général, à moins d’une autorisation spéciale du chef de l’armée, de tenter n’importe quel essai en dehors de la stricte observation des règlemens. Le règlement y est une loi que nul n’est censé ignorer, et en dehors de laquelle il ne saurait y avoir d’ailleurs que confusion et désarroi.

Chez nous, au contraire, la fantaisie et l’improvisation ont conservé droit d’asile. Qu’une idée quelconque germe dans le cerveau d’un général, et aussitôt il en ordonne l’application. L’un, — c’était, dit-on, le meilleur des commandans de corps d’armée, — a imaginé de supprimer les avant-gardes, même pour les petites unités. Il en est résulté qu’à la moindre alerte, faute du tampon protecteur de l’avant-garde, toute une colonne se déployait là où une petite fraction aurait suffi. Un autre avait adopté de mettre la pratique de la guerre en théorèmes et le service des diverses armes en figures de géométrie, à la plus grande confusion des esprits au milieu desquels se sont officiellement propagées ces théories extraordinaires.

Tout récemment, un général de division, inventeur d’une tactique française, non content de la vanter en deux bruyans volumes, en appelait de ses idées au jugement de généraux étrangers à son arme, et réclamait le droit de manœuvrer sans contrôle.