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le musicien, et c’est dommage encore. Mendelssohn, volontairement, je le sais, s’est borné à une musique seulement lyrique, et, comme certaine éloquence, purement démonstrative, à d’harmonieux développemens sur la gloire et la puissance de Dieu.

Il est vrai que Dieu est au fond le principal, on pourrait presque dire le seul personnage d’Athalie, et de ce chef il serait peut-être permis de soutenir que le musicien a compris l’intention du poète. Oui ; mais le Dieu de Racine est un Dieu agissant, qui prépare les événemens et les précipite, un Dieu qui mène l’action et les personnages, inspirant ceux qu’il veut sauver et aveuglant ceux qu’il veut perdre. Au contraire, le Dieu de Mendelssohn est un Dieu pour ainsi dise passif, qu’on invoque, qu’on adore, mais qui n’intervient pas.

Et ce Dieu même, est-ce bien le Dieu des Juifs, le Dieu de l’ancienne Loi, le terrible Jéhovah (disons Iahvé par égards pour M. Renan), implacable dans ses colères et ses vengeances ? Non. Dans l’ouverture et ailleurs, nous ne trouvons ni ce Dieu ni son ministre. Je voudrais le sentir invisible et présent partout, le Dieu des combats et de l’arche flamboyante je voudrais le reconnaître chez Mendelssohn, le fanatique Joad de Racine. Quels miracles il rappelle au tiède Abner ! De quels bienfaits sanglans il remercie l’Éternel :


Des tyrans d’Israël les célèbres disgrâces
Et Dieu trouvé fidèles en toutes ses menaces ;
L’impie Achab détruit, et de son sang trempé
Le champ que par le meurtre il avait usurpé ;
Près de ce champ fatal Jézabel immolée ;
Sous les pieds des chevaux cette reine foulée ;
Dans son sang inhumain les chiens désaltérés,
Et de son corps hideux les membres déchirés.


C’est cette dureté, cette cruauté du Dieu et du pontife d’Israël qui manquent à la musique d’Athalie. La couleur locale lui manque aussi. Elle est religieuse, mais vaguement. Elle n’est pas hébraïque ; on pourrait la chanter dans une église catholique, surtout dans un temple protestant, car Mendelssohn, commettant un anachronisme qui ressemble à un contre-sens artistique, a fait accompagner la prophétie du troisième acte par la choral de Luther. Bien qu’il soit difficile à la musique d’exprimer les nuances d’un sentiment général, le sentiment religieux ou tout autre, il eût fallu tâcher de caractériser cette scène, essentiellement juive, autrement que par un hymne protestant. Cet hymne, je le sais, est une inspiration très religieuse ; il a même quelque chose de robuste et d’assuré qui ne messiérait pas à l’expression musicale de la foi Israélite, si nous ne savions pas que c’est l’hymne de Luther. Mais nous le savons, et dès lors nous ne pouvons