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l’entendre dans le temple de Salomon sans l’y trouver déplacé. Luther et Joad! ces deux noms jurent ensemble dans notre souvenir. Sans compter que le grand-prêtre, parlant de la « Jérusalem nouvelle, » désigne l’église catholique et non l’église réformée; il y a donc double dissonance entre la musique et la poésie.

Au moins qu’on ne nous accuse pas d’avoir laissé échapper les pages belles ou gracieuses de la partition : le chœur mystérieux : O mont de Sinaï, conserve la mémoire! plus loin, une charmante effusion mélodique : O bienheureux mille fois! La strophe célèbre : De tous ces vains plaisirs où leur âme se plonge, est parmi les meilleures de l’ouvrage. Elle exprime à merveille la compassion, la charité de jeunes âmes innocentes pour les âmes perverses, avec une sorte d’étonnement douloureux devant le mal. Enfin, le bijou de la partition est le petit trio de femmes : D’un cœur qui l’aime. Il ressemble beaucoup et fait un délicieux pendant au duo de Gounod écrit sur les mêmes paroles. Ce doux cantique convient bien à Éliacin, à des enfans consacrés, élevés dans l’ombre du sanctuaire. On y sent le souffle discret, le parfum de la vie intérieure, un souvenir, non pas du livre des Rois, mais de saint François de Sales ou de l’Imitation.

Mendelssohn avait commencé par composer pour Athalie les chœurs seulement, avec accompagnement de piano; plus tard, il y ajouta l’ouverture, la marche des prêtres et les mélodrames de la prophétie, et il orchestra la partition. Mais tous ces intermèdes réunis, malgré la valeur intrinsèque de quelques-uns d’entre eux, ne feront jamais un drame musical. Tout bien examiné, l’œuvre du compositeur gâte, plutôt qu’elle ne l’embellit, le chef-d’œuvre du poète.

L’exécution d’Athalie par l’orchestre de M. Lamoureux est de tout point excellente. Partout où l’on trouve M. Lamoureux, on trouve la discipline, la conscience, le soin, la puissance des ensembles et la netteté des détails. Cet orchestre fait ressortir avec précision les moindres finesses et les reliefs les plus légers de l’instrumentation de Mendelssohn. Les chœurs chantent bien, avec entrain, avec nuances, et une belle demoiselle, très grande, très brune, Mlle de Montalant, je crois, célèbre d’une voix timbrée et vibrante la gloire de Iahvé.


CAMILLE BELLAIGUE.