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puisque c’est la plus mystérieuse, échappe ainsi au théâtre, n’a plus de place que dans le roman, je veux parler de ces sentimens complexes, obscurs et confus, mais d’autant plus délicats, qui font la diversité des caractères et des personnes. MM. Meilhac et Ganderax en ont su mettre dans Pepa quelques-uns à la scène, ainsi dans le personnage de leur Jacques de Guerche, un peu sacrifié, mais si finement nuancé, et dans ceux surtout de Mme et de M. de Chambreuil. Ce que quelques années de mariage mettent d’indestructible, d’ineffaçable entre un homme et une femme, ce qu’elles leur enlèvent d’eux-mêmes à chacun et ce qu’elles en transfèrent éternellement à l’autre, l’impossibilité morale où ils se trouvent, bon gré mal gré, de recommencer une vie absolument nouvelle, croyez-vous que tout cela fût facile à exprimer? Aussi pourrons-nous dire que d’y avoir heureusement réussi, ce n’est pas seulement un succès pour les auteurs de Pepa, c’est presque une conquête pour nous, si, comme je l’espère, en s’imitant bientôt eux-mêmes, ils se surpassent, et qu’on apprenne par leur exemple que, sans cesser de faire du a théâtre, » on y peut faire entrer beaucoup de choses que la superstition d’une certaine « pièce bien faite, » a empêché depuis vingt-cinq ou trente ans qu’on essayât d’y mettre.

Ce qui d’ailleurs les y encouragera, c’est que, si le public des « premières » a témoigné quelque hésitation ou quelque incertitude sur l’accueil qu’il devait faire à Pepa, l’autre public, le vrai, le bon, en a non pas précisément vengé les auteurs, le mot serait trop. gros, mais les en a du moins dédommagés. Le public des « premières, » dont nous ne dirons jamais autant de mal que les auteurs dramatiques en général, et que M. Dumas en particulier, a cela contre lui que son « intelligence » ne lui sert guère, en présence d’un peu de nouveauté, qu’à trouver d’excellentes raisons de se confirmer lui-même ou de se rencogner dans ses « préjugés. » Car il est plein de préjugés, qu’il ne dépouille, entre deux « premières, » que pour les reprendre en passant au contrôle. Il en a sur le genre de pièces qui convient à la Comédie-Française, à l’Odéon ou au Gymnase. Il en a sur les auteurs dramatiques, dont il attend ce qu’il attend, et non point du tout ce qu’ils essaieront de lui donner. Il en a sur la manière dont on doit l’intéresser, le faire pleurer ou le faire rire. Il en a sur ce qui « passe la rampe, » comme il dit, et qui doit être un peu gros, ou sur ce qui est fin, et dont la finesse ne doit pas dérouter ou humilier la sienne. Il en a jusque sur la façon enfin dont le sujet doit être traité, même avant que le sujet soit achevé d’exposer, et, refaisant la pièce avant de la connaître, il ne se fâche point, mais il n’est pas content si les auteurs l’ont faite autrement qu’il ne la « voyait. » C’est à l’autre public de juger ce public à son tour, et, pour cela, de faire