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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/580

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des Tuileries, le baron de Bulach, pour communiquer avec son neveu. Son intimité avec la reine Augusta de Prusse et la reine Sophie des Pays-Bas, et ses rapports avec les princes et les diplomates qui, en été, affluaient à Bade, lui permettaient d’être fort au courant de ce qui se disait dans les cours. Mais, étrangère aux cabales, elle bornait son rôle à donner à l’empereur de sages avertissemens, qu’il n’écoutait plus dans l’enivrement de sa puissance. S’il avait dépendu d’elle, il eût épousé sa petite-fille, la princesse Carola de Wasa, aujourd’hui reine de Saxe ; mais cette union, qui peut-être eût modifié le cours des événemens, fut contrecarrée par deux princesses, sœurs jumelles, l’archiduchesse Sophie, la mère de l’empereur François-Joseph, et la reine de Prusse, femme de Frédéric-Guillaume IV, toutes deux hostiles à la France. Le prince-président vint à Bade avec une suite tapageuse, plus préoccupée de la roulette que de la sévérité de sa tenue. La princesse Carola était charmante, distinguée, malheureusement d’une santé délicate. Elle eût fait belle et grande figure à la cour des Tuileries. Le prince Louis-Napoléon, séduit par sa grâce, demanda sa main à sa mère et à sa grand’mère : elle lui était accordée d’avance. L’union comblait ses vœux, elle répondait à son cœur et à son ambition, en l’apparentant avec des maisons souveraines. Pour en assurer le succès, il donna carte blanche à sa diplomatie, qui, malheureusement inexpérimentée, perdit la tête. Elle traita le père de la princesse, facile à capter, en quantité négligeable; ce fut une faute. Le prince de Wasa, blessé dans son amour-propre, excité sous main par l’archiduchesse Sophie, refusa son consentement, trop tardivement sollicité. Dans l’étrange crainte d’un enlèvement, il fit partir sa fille de Bade, brusquement, pour la Bohême, où bientôt elle fut fiancée au prince Albert de Saxe[1].

Éconduit par la grande-duchesse Stéphanie, M. de Bismarck se

  1. Je me trouvais à Manheim, auprès de Mme la grande-duchesse Stéphanie, lorsqu’elle reçut la nouvelle des fiançailles de sa petite-fille: elle ne cacha pas son désappointement, car elle aimait tendrement l’empereur. Ce qu’elle appréciait le plus en lui, c’était son cœur. Elle m’a raconté de sa jeunesse des traits touchans. Souvent dans son enfance, elle le voyait rentrer pieds nus, ayant donné ses chaussures à des pauvres. — Elle partit au mois d’octobre 1860 pour Nice, où, peu de mois après, elle devait mourir. J’eus l’honneur de l’accompagner de Strasbourg à Colmar. Elle avait le pressentiment de sa mort prochaine ; impressionnée par la guerre d’Italie, qu’elle tenait pour une faute, elle ne me cachait pas les appréhensions que lui inspirait l’avenir. L’empereur sollicita peu de temps après, raconte lord Malmesbury, par l’intermédiaire de la reine Victoria, et, sans plus de succès, la main d’une princesse de Hohenlohe. « Le prince Albert, dit-il, a eu une lettre sur ce sujet. Cet établissement ne lui paraît pas satisfaisant. La reine a discuté le mariage avec beaucoup de sens. Elle craint que la princesse ne soit éblouie par la position; elle fait allusion au sort de toutes les souveraines de la France; cependant, elle n’est pas absolument hostile à l’union. »