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Meyendorf de plus en plus troublé. — Donnez-moi le papier, je veux savoir ce qu’on a écrit, répliqua-t-elle impérativement en tendant la main. — Quand sa curiosité, si gauchement mise en éveil, fut satisfaite, elle se retourna vers moi et me dit en riant : — Je ne sais de qui est la réponse, mais je m’imagine qu’elle est d’un diplomate.

La famille royale n’était rien moins qu’unie; la vieille et la jeune cour se jalousaient et souvent se dénigraient. Leurs sourdes dissensions se répercutaient dans les salons. — « Il y a un pays, dit La Bruyère en parlant des cours, où les joies sont visibles mais fausses, et les chagrins cachés mais réels, où les repas, les ballets et les carrousels couvrent des inquiétudes, des soucis, des intérêts divers, des craintes et des espérances. »

Le sort des ministres et des courtisans wurtembergeois, au milieu de ces dissensions, n’était pas enviable. Ils s’en tiraient avec une habileté surprenante, ménageant le présent sans compromettre l’avenir. « Ils étaient maîtres de leurs gestes, de leurs yeux et de leur visage ; ils dissimulaient les mauvais offices, ils souriaient à leurs ennemis, contraignaient leur humeur, déguisaient leurs passions, parlaient, agissaient contre leurs sentimens. » — Aussi, presque tous, le baron de Varnbühler en tête, ont-ils passé d’un règne à l’autre sans perdre leur crédit.

Le roi Guillaume avait encore belle prestance, malgré ses soixante-seize ans sonnés. Il était de taille moyenne, replet, mais alerte. Il avait le teint coloré, les moustaches blanches, l’œil vif et rusé. Son Leibarzt, le docteur Ludwig, était son aîné. Cela le rajeunissait et lui donnait des illusions sur sa longévité. — « Comment avez-vous passé la nuit? Pas de fièvre, pas de toux? » lui demandait-il avec sollicitude, en renversant les rôles, lorsque le matin il venait prendre des nouvelles de sa santé.

Il négligeait la reine ; il s’était créé, en dehors de son existence officielle, un intérieur plus conforme à ses penchans. Il se consacrait, dans un petit hôtel construit au fond du parc de son château, au bonheur d’une artiste dramatique qu’il avait retirée de son théâtre. Elle ne rappelait, ni par la beauté ni par la grâce, les favorites qui ont marqué dans l’histoire; elle disparut, à la mort de son royal protecteur, sans laisser de traces ; elle avait eu la fortune de ne provoquer ni mépris ni ressentiment. Mme Amalia de Stubenrauch ressemblait, en 1857, à une bonne bourgeoise enrichie et retirée des affaires; le siècle marquait un an lorsqu’elle naquit. On disait, pour expliquer sa royale faveur, qu’à l’époque de ses débuts au théâtre de Stuttgart, dans les rôles tragiques, sa taille était élancée, son regard expressif; on ne s’en serait pas douté. Elle était vouée aux têtes couronnées, car le roi Louis et le roi Guillaume, en bons