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les décorations, les drapeaux de l’armée, tout ce qui est symbole, monnaie idéale.

La loi de 1888 introduit un grand changement : elle supprime le Metropolitan Board of Works, lui substitue un conseil-général élu directement par les ratepayers, doté d’attributions considérables. Chaque bourg parlementaire devient une division électorale et fournira dorénavant au County council deux fois plus de membres qu’il n’envoie de députés au parlement. Cinquante-neuf députés, donc cent dix-huit conseillers, plus dix-neuf aldermen. La cité de Londres aura quatre représentans à cette assemblée : elle perd ses privilèges judiciaires (the quarter sessions and justices), mais son gouvernement particulier n’est point annihilé, et, en dépit des prophéties menaçantes de certains journaux, il semble que le pouvoir « de Gog et Magog » de la populace ne prenne guère d’extension. La police métropolitaine et la police de la cité de Londres restent en dehors de la sphère d’action du conseil général, dont les premières élections auront lieu le 1er janvier 1889.

C’est un pas en avant, un progrès, selon les uns ; un saut dans les ténèbres, opinent les pessimistes : à tout prendre, et malgré cette suppression un peu brutale du bureau métropolitain, il y a là réforme, non révolution, et le législateur demeure fidèle à sa méthode de greffer de jeunes sujets sur de vieux arbres. Dans l’intérêt de l’humanité, de la grandeur morale de l’Angleterre, souhaitons que celle-ci continue à se défier du radicalisme centralisateur qui croit avoir découvert la pierre philosophale législative, et oublie que les systèmes les plus simples se rapprochent le plus de l’absolutisme, systèmes qui inspiraient à Proudhon cette apostrophe originale : « Avec votre unité matérialiste, un singe suffirait pour commander. » Ce qui a fait sa force pendant des siècles, c’est son patriotisme étroit, exclusif, plein d’une âpreté égoïste et barbare, mais énergique et jaloux ; c’est son dédain des théories cosmopolites et pseudo-humanitaires, cette croyance indélébile à son excellence morale, l’ignorance de l’envie, le culte de ses héros ; c’est l’individualisme, le principe volontaire, c’est encore son attachement aux traditions, aux vieux usages, le respect de la légalité, le respect du passé ; c’est « qu’elle a considéré la politique comme une hygiène qui se pratique, tandis que nous la considérons comme une géométrie qui s’applique. » Cependant un souffle de radicalisme l’envahit et l’agile ; les vieilles institutions chancellent sur leurs bases ; «pour la première fois, me disait M. R.., après un voyage à Londres, j’ai cru à la possibilité d’une révolution en Angleterre. » Nos voisins ont pu se convaincre que, si les révolutions sont le seul luxe des Français, c’est là un luxe ruineux qui menace d’emporter le superflu et le nécessaire, le revenu et le capital héréditaires