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L’histoire de la pêche au cachalot, et même du développement qu’elle prit à une certaine époque en France, est intimement liée à celle d’une île des côtes du Massachusetts, qui a conservé, comme cet état, son vieux nom nattique, l’île de Nantucket. Là s’était établie une colonie de quakers désireux de trouver sur cette terre isolée du continent une paix plus profonde et peut-être un détachement plus grand des administrations de la métropole. Les baleines abondaient dans les eaux de leur île. Ils tournèrent aussitôt de ce côté une activité qui ne demandait qu’à s’employer. Ils se firent instruire dans la pêche des grands cétacés par leurs voisins du cap Cod, et bientôt furent tous baleiniers.

La mer, dans ces parages, a un caractère particulier. La côte est baignée par un courant qui la longe en descendant du nord, tandis qu’à une certaine distance le courant du golfe remonte en sens inverse. C’est comme deux mers l’une derrière l’autre : celle-ci avec des baleines dans ses eaux froides et vertes ; celle-là aux eaux bleues et chaudes, où se plaisent les cachalots. Ces derniers, cependant, ne sont pas sans s’écarter parfois et s’approcher des rivages. De toute façon, Nantucket était donc une station privilégiée pour la pêche.

D’abord, nos quakers ne chassent que la baleine, qui est plus à leur portée autour de l’île. Mais un cachalot mort qui vient à la côte éveille des ambitions nouvelles. Ce fut tout un événement que cet échouage. La paix faillit en être troublée dans cette société de frères, chacun prétendant à la propriété de l’épave, ceux-ci pour l’avoir découverte, ceux-là en vertu de leur patente de pêche dans le voisinage immédiat de l’île, tandis que l’officier de la couronne, troisième larron, la réclamait comme bien sans propriétaire reconnu. On finit cependant par s’entendre pour la fonte du lard. Quant au spermaceti extrait de la tête, chacun y voulut voir un remède souverain contre toutes les maladies, si bien que la drogue fut cotée pendant plusieurs jours à son pesant d’argent. Quoi qu’il en soit, à quelques années de là, vers 1712, un cachalot était tué pour la première fois par un pêcheur de Nantucket. La reconnaissance publique a conservé, — et c’était justice, — le nom de celui dont l’audace allait être le point de départ d’une véritable révolution commerciale et géographique. Il s’appelait Christopher Hussey. Il croisait dans le voisinage de la côte, à la poursuite des baleines ; entraîné à quelque distance par une forte brise du nord, il tombe tout à coup au milieu d’une troupe de cachalots, il en tue un et le remorque jusqu’à l’île. Il eut aussitôt des imitateurs. Les eaux de Nantucket commençaient à n’être plus aussi riches de baleines ; on était certain de trouver abondance de cachalots plus