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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/660

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« Non, jamais le gouvernement ne souscrira à une intervention militaire ! » Lord Granville y comptait, lui, et il n’éprouva que la surprise de se voir, si facilement, le maître d’un pays depuis longtemps convoité.

J’ai eu souvent l’occasion d’appeler l’attention de hauts personnages égyptiens sur la façon dont l’Angleterre pratiquait son intervention, et il n’en est pas un qui ne m’ait dit : « Vous nous avez fait plus de mal que les Anglais ne nous en font, car c’est vous qui nous avez mis entre leurs mains, et Dieu seul sait quand nous en sortirons. Entrés avec eux à Alexandrie, ils en seraient sortis avec vous, et, depuis longtemps, l’Égypte serait libre. » D’autres, moins patriotes, m’ont répété souvent ceci : « Pourquoi leur en voudrions-nous ? Ils ont battu Arabi en le couvrant de guinées, dit-on, mais que nous importe ? ils nous ont débarrassés de cet ambitieux incapable et sans courage. Garantis par leur police et leur gendarmerie d’une nouvelle levée de boucliers du parti national, nous avons repris nos emplois. Nous ne demandons pas autre chose sous ce beau ciel d’Égypte ! »

Et si je leur faisais remarquer qu’il devait en coûter quelque chose à leur dignité et au trésor égyptien, ils éludaient la partie délicate de la remarque, et répondaient pour le reste que c’était à la terre à payer. « En tout temps, disaient-ils, la population n’a été composée ici que de deux classes d’individus : le laboureur et le fonctionnaire. C’est toujours le premier qui a nourri le second. Arabi avait eu l’idée de changer cette vieille coutume, mais les Anglais ne l’y ont pas aidé et l’ont envoyé, non à Sainte-Hélène, où il eût pu trop tôt mourir, mais à Ceylan. »

Que devient en tout ceci l’influence française, prépondérante autrefois en Orient ? Où en sont nos intérêts en Égypte ? On bat en brèche la première en mettant la main au collet de nos sujets algériens jusque sous le péristyle de nos consulats, on sape les seconds en éliminant nos compatriotes des postes qu’ils occupent, en faisant à la douane d’Alexandrie, dont la direction est anglaise, une misérable guerre à nos importations.

Plusieurs des nôtres par la presse, d’autres forts de la haute situation que leur donnent les traités, recommandables par leur connaissance des affaires et leur grande intégrité, combattent en Égypte, et heureusement sans faiblir, pour le bon combat, c’est-à dire pour la France. Ils arriveront à prouver ce que je voudrais pouvoir prouver moi-même, que l’Égypte a considérablement perdu par suite de la présence des Anglais chez elle, et que, par la richesse de son sol, par de grandes économies, en étendant le champ die ses cultures, elle peut suffire à ses besoins, et liquider les dettes qui alourdissent son budget et arrêtent son développement.