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REVUE LITTERAIRE

A PROPOS D’UNE REPRISE DE ZAÏRE.

Il y a de cela cent cinquante ans passés ; et Voltaire en avait trente-sept. La Bastille et l’exil avaient déjà rendu son nom presque célèbre. Il avait publié sa Henriade, que la France, sur sa parole, avait prise pour un poème épique; son Histoire de Charles XII, que l’on s’arrachait comme un roman; et il achevait d’écrire ses Lettres philosophiques. Mais, parmi tout cela, plus amoureux que jamais du théâtre, les lauriers de Crébillon et d’Houdart de La Motte l’empêchaient de dormir, et, depuis tantôt quinze ans que son Œdipe avait paru sur la scène, il ne pouvait se consoler de n’en avoir pas vu se renouveler le succès. Or, cette année-là même, le 7 mars 1732, il venait de donner une tragédie d’Ériphyle, qui, comme son Brutus, comme sa Mariamne, n’avait qu’à moitié réussi, et, selon son usage, avant d’imprimer sa pièce, il la refaisait consciencieusement, acte par acte, vers par vers, quand, « pour pouvoir revoir son ouvrage avec moins d’amour-propre, et se donner le temps de l’oublier, » il s’avisa, vers le mois de mai, d’en entreprendre un autre. « La scène, écrivait-il à son ami Cideville, sera dans un lieu bien singulier; l’action se passera entre des Turcs et des chrétiens. Je peindrai leurs mœurs autant qu’il me sera possible, et je tâcherai de jeter dans cet ouvrage tout ce que la religion chrétienne semble avoir de plus pathétique et de plus intéressant, et tout ce que l’amour a de plus tendre et de plus cruel. Voilà ce qui va m’occuper six mois. Quod felix, faustum, musulmanumque sit. » La lettre est du 29 mai : le 25 juin.