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des dix dernières années. On dirait que les républicains ont porté au pouvoir un goût invétéré et irrésistible de l’arbitraire. Ils ne peuvent s’en défendre, ils mettent l’arbitraire partout, dans leur budget comme dans leurs plus simples actes administratifs. Ils ne connaissent que les lois qu’ils ont faites et qui répondent à leurs passions de parti : encore ne les respectent-ils même pas toujours. Pour les autres, il est convenu qu’elles n’existent que pour la forme, qu’on garde le droit de les interpréter, de les laisser sommeiller ou de les plier à tout ce qu’on veut. On ne se gêne pas avec elles. Ce sont assurément les républicains qui ont le plus abusé du discrétionnaire administratif et ont mis le plus de zèle à réhabiliter par leurs actes la raison d’état qui justifie en définitive tous les attentats de la force, qui est la suspension de la légalité. Ils ne respectent pas plus, c’est bien clair, la constitution que les autres lois. Depuis qu’une majorité républicaine existe au Palais-Bourbon, elle n’a cessé de dénaturer et de violenter cette malheureuse constitution; elle n’a eu d’autre pensée que de se créer une sorte d’omnipotence révolutionnaire en annulant le plus possible l’autorité du président de la république, en disputant au sénat ses prérogatives les plus simples, les plus utiles, et cela, elle l’a fait d’accord avec les ministres eux-mêmes, instrumens et complices de cette violation permanente de la constitution. C’est ce qu’ils appellent le régime parlementaire ! Et comme si ce n’était pas assez, M. le président du conseil Floquet, exécuteur des œuvres radicales, est venu pour en finir avec cette pauvre constitution, en proposant sa révision. Oh ! aujourd’hui le coup est porté, et c’est probablement pour la première fois qu’on voit un chef de gouvernement livrer en pleine crise aux partis une constitution qui reste sa dernière arme de combat et de défense. Ce prévoyant M. Floquet a cru sans doute qu’il y avait pour le moment trop de légalité. Il s’est enlevé, dans tous les cas, le droit de défendre une constitution dont il a proclamé la caducité et de traiter de conspirateurs les autres révisionnistes, dont il se fait après tout le complice.

La violation de la loi, elle est malheureusement dans la situation tout entière, elle est en permanence sous toutes les formes. Qu’est-ce que cette manifestation qui doit se promener demain dans Paris, si ce n’est une ostentation d’illégalité, un défi à tout ordre régulier, sous l’apparence d’un hommage rendu à un représentant du peuple frappé en défendant une constitution? Baudin est mort il y a trente-sept ans, il est mort sans faste. Qu’on veuille honorer d’une commémoration particulière un acte virilement accompli, rien certes de plus simple, de plus légitime; mais il est bien clair qu’ici Baudin n’a été qu’un prétexte de parti, qu’on a songé moins à honorer un mort qu’à faire une démonstration, à protester avec apparat contre des souvenirs de coup d’état qui pourraient être un encouragement, contre des velléités