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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/721

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dernièrement par les insurrections indigènes. Elle reste enfin plus que jamais attachée à ses projets de colonisation, d’établissement dans ces régions de l’Afrique. Les écrivains allemands ne cachent pas l’idée qu’ils se font de la mission civilisatrice de leur pays. Récemment même, un officier du grand état-major de Berlin a fait, devant quelques-uns des chefs de l’armée allemande, une conférence où il n’a pas hésité à dire que « l’Allemagne est appelée à porter le flambeau de la civilisation dans le continent noir. » Et on a parlé déjà de faire des enrôlemens pour former une sorte de gendarmerie destinée à pacifier la côte africaine. L’Angleterre s’est peut-être flattée de contenir, par son concours même, l’impatience allemande. Elle commence à n’en être plus aussi sûre et à avoir des doutes. Elle sent que, si elle va trop loin dans la condescendance, elle abdique devant l’Allemagne et ses ambitions colonisatrices, que, si elle résiste, elle s’expose à des difficultés sans nombre, sans profit et sans honneur pour elle.

On entre en définitive dans une situation des plus compliquées. Jusqu’ici, c’est l’Allemagne qui a l’avantage. Les embarras restent pour l’Angleterre, surtout pour le ministère, qui a déjà mécontenté par ses concessions les missionnaires anglicans et leur clientèle, qui risque de compromettre un crédit dont il a besoin plus que jamais dans sa politique intérieure. Au moment même où s’engageait cette affaire de Zanzibar, en effet, le cabinet de lord Salisbury, profitant de la session d’automne, était occupé à livrer une nouvelle bataille pour la pacification ou la soumission de l’Irlande, avec laquelle il n’en a jamais fini. C’est l’éternelle et irritante question. Après avoir usé ou abusé de la politique de coercition, et s’être même flatté d’avoir dompté à demi l’agitation, le cabinet conservateur a voulu essayer d’achever son œuvre par des mesures agraires destinées à désintéresser les paysans, à créer une classe de petits propriétaires en Irlande. Il a demandé au parlement un crédit de 5 millions de livres sterling pour aider les paysans à racheter les terres dont ils sont les fermiers, en complétant son système par des combinaisons ingénieuses de remboursement à l’état. A vrai dire, le ministère conservateur ne fait que résoudre à sa manière un problème dont M. Gladstone lui-même, au temps de son pouvoir, avait proposé la solution. Seulement le nouveau bill est moins complet, ou, si l’on veut, moins radical que celui de M. Gladstone; il offre aussi moins de garanties. On peut ajouter enfin qu’il est conçu dans l’intérêt des grands propriétaires, des landlords, encore plus que dans l’intérêt des paysans. Tel qu’il est, il ne pouvait nécessairement désarmer l’opposition, les libéraux, les nationalistes amis de M. Parnell, M. Gladstone lui-même, qui, il n’y a que quelques semaines, en dépit de l’âge, retrouvait, dans une série de discours à Birmingham, toute sa verdeur, toute son éloquence contre