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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/81

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« Il y eut ensuite, a dit le capitaine Bocher, un moment d’attente. Un Arabe d’un extérieur et d’une attitude qui révélaient le chef apparut, sortant d’un des coins obscurs de la maison. Il était blessé à la jambe et s’appuyait sur bu des siens. « Voilà Bou-Ziane, » s’écria le guide. Aussitôt le commandant se jeta sur lui et empêcha ses soldats de faire feu. « Je suis Bou-Ziane, » telle fut la seule parole du prisonnier, puis il s’assit à la manière arabe et se mit à prier. M. de Lavarande lui demanda où était sa famille. Sur sa réponse, il envoya l’ordre de la sauver, mais il était trop tard. M. de Lavarande avait envoyé prévenir le général Herbillon que Bou-Ziane était entre ses mains. « Faites-le tuer, » telle fut la réponse. Un second message rapporta le même ordre. Le commandant fit appeler quatre zouaves et leur ordonna, à un signal donné, deviser au cœur. Se tournant ensuite vers Bou-Ziane, il lui demanda ce qu’il désirait et ce qu’il avait à dire. « Vous avez été les plus forts ; Dieu seul est grand ; que sa volonté soit faite ! » Ce fut la réponse du chef arabe. M. de Lavarande, le prenant alors par la main, le força à se lever et, après l’avoir appuyé le long d’un mur, se retira vivement. Les quatre zouaves firent feu ; Bou-Ziane tomba raide mort. Un zouave lui coupa la tête, apporta le sanglant trophée au colonel Canrobert et le lui jeta entre les pieds. La tête du plus jeune fils de Bou-Ziane fut également apportée au colonel. On décapita aussi le cadavre de Si-Moussa, qui avait été découvert au milieu des morts. »

Au dehors, la fermeté du commandant Bourbaki avait arrêté à la fois les tentatives des assiégés qui voulaient échapper au désastre, et celles des Lichaniens qui s’efforçaient de venir en aide à leurs frères. À midi, le ksar n’était plus qu’un amas de ruines d’où sortaient çà et là quelques coups de feu encore. À trois heures, tout bruit de combat avait cessé. Des défenseurs de Zaatcha, pas un seul n’était vivant. On compta plus de 800 cadavres ramassés sur les décombres ; on ne connut jamais le nombre de ceux qui étaient ensevelis dessous. Au vainqueur la journée du 26 novembre coûta 43 tués et 175 blessés ; relevée depuis le commencement du siège, la perte totale, — moins les victimes du choléra et de la dysenterie, — monta au chiffre de 165 tués et de 790 blessés.

Le 27, tout ce qui tenait encore debout dans le ksar et autour du ksar, mosquées, minarets, maisons, murailles, vergers, palmiers, acheva de disparaître ; tout fut rasé au niveau du sol. Groupés à distance, les Arabes des oasis voisines contemplaient terrifiés cette ruine. Le 28, le campement fut levé ; la colonne prit le chemin de Biskra ; elle y arriva le 30.

Ainsi finit cet épisode de Zaatcha, moins éclatant, mais, dans sa sombre horreur, plus tragique peut-être que celui de Constantine.