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VI.

Le grand foyer de l’insurrection venait de s’éteindre dans le sang ; mais le feu qui, pendant la longue fureur de l’incendie, avait gagné l’Aurès, couvait encore dans quelque recoin de ses étroites vallées. Il y était du moins circonscrit, n’ayant plus d’alimens à recevoir, ni de Bou-Sâda, que le colonel Daumas venait de faire occuper, à titre définitif, par une garnison française, ni des Ouled-Naïl-Cheraga, ni du Hodna, ni du Belezma, qui protestaient de leur parfaite obéissance.

Avant de rentrer à Constantine, le général Herbillon avait, d’après les instructions du gouverneur, assigné au colonel Canrobert le commandement supérieur de Batna et celui de Sétif au colonel de Barral. Le colonel Canrobert, dont la circonscription comprenait l’Aurès, avait résolu d’y pénétrer par le nord. Le 25 décembre 1849, il sortit de Batna. La colonne qui marchait avec lui comprenait : un bataillon du 8e de ligne, le 5e bataillon de chasseurs à pied, le 2e zouaves, le bataillon de tirailleurs indigènes, trois escadrons de chasseurs d’Afrique et de spahis, deux sections d’obusiers de montagne, une section de sapeurs. Le 27, il entra dans l’Aurès et commença de descendre la vallée de l’Oued-Abdi, qui est le principal cours d’eau de cette région, dont les principaux habitans sont les Chaouïa, de race berbère. Tout alla d’abord assez bien ; les villages, sans beaucoup d’empressement d’ailleurs, apportèrent leurs témoignages de soumission en paroles un peu plus qu’en argent; mais les gens de Nara refusèrent nettement argent et paroles. Le colonel, à cause de la saison inclémente, inclinait à renvoyer au printemps le châtiment de ces réfractaires, quand leur insolence lui fit une obligation de ne plus attendre.

Nara était un ensemble de trois villages bâtis sur les rives escarpées d’un petit affluent de l’Oued-Abdi. Le plus important des trois couronnait un rocher isolé, à 60 mètres au-dessus du ravin. On n’y pouvait accéder que par des degrés entaillés dans le roc, et tous les abords étaient commandés par des tours solidement construites. Tous les indépendans, tous les fanatiques de la montagne s’y étaient donné rendez-vous, comme naguère les fanatiques de la plaine à Zaatcha.

Déjà, au mois d’avril de l’année précédente, une expédition avait été dirigée contre Nara par le colonel Carbuccia ; mais elle s’était réduite à la destruction d’un des villages inférieurs et au jet de quelques obus dans celui qui pouvait passer pour en être la citadelle. Bref, les montagnards en avaient tiré plutôt un motif de gloire qu’un conseil de modération et de prudence.