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mais achevée et lumineuse chez les chrétiens, qui possèdent le christianisme en sa pureté, et ne retombent dans le paganisme que par leurs erreurs. — Voilà la philosophie complète de de Maistre, un pessimisme qui s’arrête, se repose et se satisfait dans le christianisme ; une croyance au mal qui trouve dans la foi chrétienne sa confirmation, son explication, sa consolation ; une croyance à l’injustice qui se vérifie dans le christianisme et s’y transforme, qui trouve le christianisme d’accord avec elle ici-bas, et qui, avec le christianisme, relègue l’empire de la justice dans le monde de l’éternité ; un instinct, enfin, et un besoin impérieux d’unité dans le système des choses, instinct qui trouve dans le christianisme la résolution du paradoxe du monde, et qui tient ce même christianisme pour la pensée universelle et perpétuelle de l’humanité, en considérant le paganisme à la fois comme un biblisme de décadence et un christianisme anticipé. — Tout cela vient comme se grouper et se construire autour de l’idée politique, qui est l’idée centrale, pour la soutenir, la fortifier et lui faire honneur, pour montrer qu’elle se rattache à l’ensemble véritable des choses et que toute vérité y aboutit. Les Soirées de Saint-Pétersbourg et l’Éclaircissement sur les sacrifices sont une généralisation brillante et hardie à l’appui des Considérations sur la France.

Et le Pape et l’Église gallicane sont les livres qui complètent la pensée de de Maistre en définissant l’autorité royale, comme les Soirées de Saint-Pétersbourg la justifiaient. On demande à quoi tient l’autorité royale, ce qui la fonde et ce qui la sanctionne, de qui le roi tient son droit, à qui il est responsable. Le fondement du droit royal, c’est Dieu ; celui qui connaît du devoir royal, c’est Dieu. Dieu est « celui de qui relèvent tous les empires, » en ce qu’il les fonde et en ce qu’il les juge. Il les fonde, les trouvât-on injustes, et le fussent-ils, comme créateur de cette immense injustice qu’on appelle le monde, et qu’il a voulue en tant que châtiment et épreuve ; et libre à vous de les estimer une forme de l’iniquité ; il ne faut pas plus ni s’en étonner ni s’en défendre que de toute l’injustice générale qui vous entoure ; et la révolte est la même contre le roi ou contre l’ordre du monde ; — mais aussi il les juge comme créateur de la justice éternelle où il nous appelle, et où il nous convie à adhérer d’avance par nos actes pour être dignes un jour de vivre en elle. Et c’est là l’essence des obligations royales. On dit que leur pouvoir est absolu ; c’est leur devoir qui est absolu, puisqu’ils sont obligés, non devant l’opinion capricieuse ou une constitution fragile, mais devant l’absolu lui-même. On dit que leur puissance est illimitée ; c’est en raison de cet infini de leur pouvoir, qu’ils ont un infini d’obligations ; car devant la justice éternelle le devoir est en raison de la puissance, et si le peuple