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a peu de devoirs, «i les grands eu ont davantage, le roi absolu a comme un devoir inépuisable; aux mains de Dieu, plus il est libre, plus il est lié. Qu’ai-je besoin maintenant de constitution et de droit du peuple ? Le droit du peuple, c’est le devoir du roi envers Dieu. Ils n’ont pas si tort, les démocrates qui disent : « Voix du peuple, voix de Dieu. » Ils ont raison comme les païens; ils ont une vérité altérée et confuse, ou ils disent une vérité sans la comprendre; la voix du peuple n’est pas la voix divine; mais le droit du peuple, c’est le droit de Dieu.

Mais cette voix de Dieu dans le monde, que le roi doit écouter, et qui l’oblige, où la trouver? Ce n’est ni le peuple, ni la loi, ni la constitution qui la donnent. Où est l’oracle ? — Comment donc ! Est-ce que Dieu n’a pas parlé? Est-ce qu’il n’a pas déposé sa parole? Est-ce que les dépositaires de sa pensée ne sont pas là? Le roi est responsable envers la vérité, et l’église a le dépôt de la vérité. — Voilà donc le roi esclave de l’église! — Qui vous dit cela? Les rois de France étaient-ils esclaves du parlement, parce que le parlement avait le dépôt des lois? Ils étaient soumis moralement à la vérité constitutionnelle, dont le parlement avait la garde. Ils doivent être soumis moralement à la vérité divine, dont l’église a le secret. L’église est le grand miroir humain de la lumière divine ; c’est dans ce miroir que les rois doivent incessamment la regarder. L’église éclaire les rois sur leurs devoirs ; elle définit leur fonction ; elle écrit les maximes de la royauté. Elle sert à cela dans l’ordre humain. Elle sert encore à autre chose. L’humanité s’est partagée en groupes, en sociétés diverses, non pas tant pour obéir à certaines affinités que pour se conformer à cette obscure et inévitable loi d’injustice, qui est une des formes du mal sur la terre, et pour que la guerre fût, et pour que le sang coulât. Cela, c’est l’ordre humain. Mais l’église, représentant l’ordre divin, réalise, autant qu’elle le peut (étant engagée elle-même dans l’humanité), l’unité terrestre. Comme de Maistre le dit cent fois : « le catholicisme, c’est l’unité. » Il faut que l’Anglais voie dans le Français un animal d’une autre espèce qu’il ne songe qu’à tuer, pour que la loi du meurtre, s’étendant depuis le dernier zoophyte jus- qu’à l’animal supérieur, ne s’arrête pas à l’homme ; mais il faut aussi qu’à certains momens d’une manière claire, et toujours d’une manière confuse, le Français voie en l’Anglais un frère. Comme homme, il ne l’est pas ; il est un animal hostile ; tel est l’ordre humain ; il faut qu’il le soit comme participant à Dieu, comme communiant dans la pensée divine, pour qu’il y ait au moins une image de l’ordre divin réalisée sur la terre. C’est l’église qui offre cette communion au monde. Ce rêve d’unité, qui est la pensée comme intermittente de tous les hommes, dont ils s’éloignent