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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/864

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Frappé des inconvéniens qu’offraient ses nombreuses usines achetées, construites et agrandies à mesure que l’exigeait sa fabrication croissante, frappé aussi de la déperdition de forces et de temps pour l’ouvrier, partant de production pour le patron, qui résultaient des mauvaises conditions dans lesquelles s’effectuait le travail, des salles étroites, mal aérées et mal éclairées, des sous-sols humides, des ateliers trop bas, des séchoirs aux courans d’air dangereux, il rêvait la création d’une manufacture modèle telle que l’Angleterre n’en possédait pas alors. Obtenir de l’ouvrir le maximum d’efforts en lui assurant le maximum de confort, économiser son temps et ses pas, se l’attacher en garantissant le bien-être de sa vieillesse, faire œuvre de chrétien autant que d’industriel prévoyant, accroître sa fortune en faisant la fortune de ceux qui édifiaient la sienne, tel était son projet, et il le réalisa.

Tout d’abord, il acheta de vastes terrains dans la vallée de l’Aire, à 4 kilomètres de Bradford, et y concentra une armée d’ouvriers. En deux ans, l’immense manufacture de Saltaire était achevée d’après ses plans; et, le 20 septembre 1853, le cinquantième anniversaire de sa naissance, il inaugurait ce Palace of Industry par un gigantesque banquet dans l’atelier de peignage assez vaste pour recevoir 3,500 convives. Un train spécial amenait de Bradford ses 2,400 ouvriers. Les membres de la presse et du parlement étaient invités, et pendant plusieurs jours cet événement défraya les chroniques des journaux et les conversations des cercles.

Deux réseaux de voies ferrées, pénétrant jusqu’au centre de l’usine, la reliaient aux grandes lignes du Nord et du Midi. Le voyageur qui se rend de Londres à Edimbourg par le Midland-Railway voit se dérouler à sa droite l’immense fabrique en pierre qui, couvrant une superficie de 10 hectares, profile, sur 545 pieds de façade, ses six étages largement éclairés. Le canal de Leeds à Liverpool, et l’Aire, rendue navigable, l’encerclent et lui fournissent, avec une eau abondante, d’économiques moyens de transport. La ville de Saltaire, peuplée par les ouvriers de l’usine et des habitans attirés par la salubrité du site, est reliée à la manufacture par un gigantesque pont en fer aboutissant à Saltaire-Park, à l’extrémité duquel on aperçoit à mi-côte les châteaux, d’architecture italienne, de M. Titus Salt fils et de M. Charles Stead, associés et propriétaires actuels de l’usine. Saffaire contient aujourd’hui huit cents maisons, toutes construites en pierre, entourées de jardins. La population dépasse 6,000 âmes. Le fondateur de Saltaire a fait en outre, édifier à ses frais une église congréganiste, des écoles, une bibliothèque, un gymnase, des bains, un hôpital, consacrant plus de 3 millions à ces œuvres d’utilité publique.