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Et cependant nous le touchons de la main, quelques-uns de ses représentans vivent encore. Monde curieux, si proche et si lointain ! Charles Dickens débutait dans la carrière littéraire en publiant les premières feuilles des Pickwick Papers, dont tout Londres s’entretenait presque autant que du maiden speech de Disraeli. D’Orsay, le roi de la mode, remplaçait le beau Brummel; à Gore-House, on se montrait Landon, Marryat, Campbell, Tom Moore, Louis-Napoléon; chez lady Holland : Grattan, Curran, lord Eldon, Macaulay et Sydney Smith. Au cabaret du Cock se réunissaient Tom Hood, Leigh Hunt, William Thackeray et un jeune homme rêveur auquel on s’accordait à prédire quelque avenir : Tennyson, le futur poète lauréat d’Angleterre. On y rencontrait aussi un autre jeune homme « délicat et maladif, dont on contestait fort la valeur politique, et qui, d’ailleurs, avec une pareille santé, n’irait pas loin. » C’était William Gladstone, le futur premier, celui que ses contemporains ont surnommé le Grand old Man, le candidat que les électeurs de Newark venaient, sur l’ordre du duc de Newcastle, d’envoyer siéger à la chambre des communes.

Il avait été élu presque à l’unanimité. Le jour du scrutin, un seul électeur s’était permis de demander qui pouvait bien être ce Gladstone qui sollicitait les suffrages de Newark; à quoi le régisseur du duc avait daigné répondre qu’il était fils d’un commerçant de Liverpool, lequel était lui-même l’ami de Canning. L’opposant, si tant est qu’il le fût, se déclara satisfait,» et vota pour ce jeune candidat maladif dont la puissante vieillesse devait étonner l’Angleterre. Ainsi débutait sur la scène politique l’homme qui, pendant plus d’un demi-siècle, sut la remplir de l’éclat de son éloquence, du bruit de son nom, de la hardiesse de ses évolutions et de ses conceptions. En lui se résumaient les aspirations, les hautes visées, l’ambition et l’énergie d’une vieille famille écossaise, partie de bas, s’élevant d’un échelon à chaque génération, atteignant la fortune, puis l’opulence, et, par un suprême effort, portant l’un de ses rejetons au plus haut point où un Anglais puisse atteindre, aux côtés et parfois au-dessus du trône. Pendant des années, il sut s’y maintenir, s’imposer à une cour sourdement hostile, quitter, puis reprendre le pouvoir à son jour et à son heure, presque aussi puissant, et à coup sûr plus redoutable dans l’opposition qu’à la tête des affaires, soutenant fièrement aujourd’hui le poids de ses quatre-vingts ans en homme dont le rôle politique n’est pas encore achevé, et qui se sent de taille à porter sur ses robustes épaules l’écrasant fardeau des affaires de l’empire britannique,

« Je ne sais vraiment pas pourquoi, disait-il dans un discours célèbre prononcé, semble-t-il pro domo suâ, à Liverpool, en 1872,