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cette partie orientale de l’Afrique. Ils n’y font pas une seule conversion, m’a répété plusieurs fois son excellence, et le seul résultat obtenu est celui de tenir en éveil le fanatisme religieux, odieux partout, et d’indisposer contrôles Européens les musulmans et les coptes. Il ne s’en plaint pas, lui personnellement, car en matière religieuse, il se déclare sceptique. Comme je lui manifestais mon étonnement de l’insuccès constant des apôtres modernes sur les populations africaines, Riaz-Pacha me répondit : « Nos enfans viennent au monde en entendant dire à leur père qu’il n’y a qu’un Dieu, et que ce Dieu est Allah. Il ne peut plus jamais leur entrer dans l’esprit qu’il y en ait d’autres. Ce qui fait la supériorité de notre culte sur le vôtre, c’est que le clergé musulman n’intervient jamais dans aucun des actes de notre vie privée, ni à la naissance, ni au mariage, ni à la mort. N’est-ce pas tout le contraire chez vous ? Il y a bien de riches musulmans qui veulent avoir des ulémas chez eux, un jour de noces, ou à la mort d’une personne qui leur est chère ; ce n’est qu’accidentel : c’est un luxe comme la présence, plus ou moins considérable, de pleureuses à un enterrement. On les paie à l’heure pour se lamenter, et cela ne devra pas vous surprendre en voyant ici les gens riches mieux pleures que les pauvres gens. »

Quoi qu’il en soit, la formation d’un nouveau ministère, à la tête duquel s’est placé cet homme intègre, a surpris tout le monde. L’émotion a été d’autant plus vive que c’est avec l’assentiment absolu de sir E. Baring, l’agent officiel, l’âme damnée de l’Angleterre, que ce ministère a vu le jour. Riaz-Pacha déteste sir Baring comme tout ce qui est étranger. Quel but poursuit donc le célèbre diplomate anglais? Veut-il mettre la Sublime-Porte dans son jeu pour la rendre plus conciliante, l’habituer à l’idée d’une occupation définitive? N’est-ce que dépit ou étourderie? Sir E. Baring s’est-il rendu compte de l’état d’anarchie qui règne en Égypte, anarchie qui, à. la longue, peut devenir très dangereuse? A-t-il espéré y mettre un terme en poussant au pouvoir un homme énergique comme Riaz, en plaçant à la justice un ministre à poigne comme son excellence Fahkri? Baring sait pourtant que, si ce ministère parvient à faire partir les troupes d’occupation, les Européens qui resteront en Égypte n’en seront pas mieux traités. Au demeurant, Riaz sera pour les Anglais ou contre eux, selon qu’il le jugera pour le bien de son pays, car Riaz-Pacha est profondément honnête et patriote.

J’ai dû dire, à regret, que Nubar-Pacha, qui a été ministre sous Ibrahim, sous Abbas, sous Saïd, sous Ismaïl et le khédive actuel, ne dissimulait pas son antipathie à l’égard des Européens occupant en Égypte une fonction officielle. Il aurait raison s’il se plaçait à