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On pourrait faire remarquer à la jeunesse égyptienne que les vice-rois et khédives ne devraient pas être les seuls à supporter ces accusations. Il y a eu des ministres qui, eux aussi, ont abusé d’une autorité par trop arbitraire. Rien n’est plus avéré. Toutefois, il est avéré aussi que ces ministres ont été plus d’une fois exilés par Ismaïl-Pacha, qui en agissait avec eux despotiquement. Il ne les faisait revenir de France, de Turquie ou d’Angleterre que lorsque leurs conseils lui étaient nécessaires, ou lorsqu’il voulait leur faire endosser la responsabilité d’une mesure impopulaire, et Ismaïl le voulait souvent.

L’absence d’une loi qui détermine les droits et les devoirs des gouvernans et des gouvernés est assurément une lacune regrettable, et la jeunesse égyptienne ne manque pas de le faire ressortir. L’autorité, ne connaissant pas délimites à ses pouvoirs, les croit indéfiniment étendus. Les fonctionnaires de l’ordre inférieur sont les plus pernicieux de tous. Nombreux et peu rétribués, ils ont des appétits en rapport avec leur grand nombre. S’ils possèdent une petite propriété, c’est le fellah qui, gratuitement, est obligé de la bêcher, de la défricher et de l’ensemencer. Les cheikhs et notables sont des fléaux pour le petit contribuable. Représentant les forces contributives des communes, c’est à eux que l’autorité s’adresse pour la perception des revenus et l’acquittement de tous les impôts, en argent ou en nature, qui frappent le fellah. Sans conscience, sans moralité, sans instruction, ils n’hésitent pas à commettre des vols au détriment de l’état et des contribuables. Ces crimes sont encore assez fréquens à l’occasion du recrutement de l’armée, des prestations en nature pour les travaux d’utilité publique et du recensement des habitans pour les impôts personnels et la capitation. Si les personnes lésées voulaient se plaindre, sur quels droits s’appuieraient-elles pour le faire? Il n’en existe pas. Les petits fonctionnaires sont couverts par les fonctionnaires d’ordre secondaire, ceux-ci sont couverts par la responsabilité nominale des ministres, qui sont, à leur tour, couverts par la personnalité du chef de l’état. Or le chef de l’état est irresponsable. Toujours comme aujourd’hui. La troisième cause qui, d’après le parti national, a motivé les malheurs de l’Egypte, est dans l’absence d’une justice bien assise et bien administrée. Les lois mises à la disposition des tribunaux locaux sont insuffisantes ; il y a encore insuffisance des garanties d’instruction, de moralité et d’indépendance chez les personnes chargées de rendre la justice, et particulièrement chez les auxiliaires et collaborateurs placés sous la direction des magistrats. Le sort d’un procès dépend souvent de la façon dont un greffier se plaît à exposer la question aux juges, heureux encore, ces derniers, lorsqu’ils peuvent débrouiller quelque chose dans l’exposé qui leur est