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d’émotion reparaître Juliette et Roméo; on n’est que plus délicieusement repris par la douceur renaissante de leur entretien.

Tout l’acte est très bien mis en scène à l’Opéra. Ce n’est pas au balcon cette fois que revient Juliette, mais sur la terrasse, derrière une grille légère; jusqu’à la fin du duo, elle va de cette terrasse à sa fenêtre, éloignant, puis rappelant Roméo, et ces allées et venues donnent encore plus de langueur aux adieux amoureusement prolongés. Juliette ne quittera pas Roméo sans avoir tout prévu, tout préparé. Avec une tendresse grave, presque solennelle, elle s’offre à lui pour femme: elle le prie de fixer le jour, l’heure et le lieu de leur hymen. Si par malheur, ajoute-t-elle avec mélancolie, avec un vague soupçon que le mal existe et qu’il est des amours moins purs et moins durables que le sien ; si, comme dit à Roméo la Juliette de Shakspeare, si tu as des intentions qui ne sont pas bonnes, oh ! alors l’ardente, mais honnête enfant, ne se donnera pas, quitte à mourir de s’être refusée.

Mais elle n’a rien à craindre. Exaltée, presque indignée, la protestation de Roméo ne se fait pas attendre. Comme tout à l’heure, les harpes s’envolent encore, mais d’un essor plus impétueux, et quand viennent les mots : Dispose en reine, dispose de ma vie ! tous les instrumens à cordes, éperdus, joignent leur unisson à la voix du jeune homme pour la fortifier et l’emporter plus haut; tout l’orchestre s’élance vers l’enfant radieuse dans une effusion unanime d’enthousiasme et d’amour.

Ces deux êtres qui se sont rencontrés il y a une heure à peine, s’adorent maintenant pour l’éternité; ils ont conclu le pacte de leur immortelle tendresse. Avant de se quitter, et pour la première fois depuis le commencement du duo, ils chantent ensemble; leurs deux voix n’en font plus qu’une, comme leurs âmes. Ah ! L’adorable séparation, toujours et toujours retardée ! Quelle lenteur à dénouer les bras enlacés, à détourner les regards confondus ! Une dernière fois, Juliette rappelle son bien-aimé. Mais elle sent bien qu’il faut le laisser partir, qu’elle ne saurait lui permettre de franchir aujourd’hui le seuil de son asile. Elle rentre donc, et sa lampe s’éteint. La nuit poursuit son cours, la chaste nuit qu’ils ont respectée tous deux, qu’ils ont faite leur confidente et non leur complice. L’orchestre de nouveau peut chanter, reprendre sans trouble la cantilène du prélude. La pure mélodie ramènera dans les rêves de Juliette tous les souvenirs sans un seul remords de l’amour, et le baiser que Roméo confie à la brise ira se poser, sans le faire rougir, sur le front endormi de la fiancée.

Ce second acte, qui renferme les plus exquises beautés de Roméo, ne les renferme pas toutes; mais si nous voulions examiner la partition entière, l’espace aujourd’hui nous manquerait. Il faudrait