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rappeler d’abord l’admirable prologue, impassible récit de haine que traverse un rayon d’amour. Nous parlions plus haut du génie historique de Meyerbeer. Le maître des Huguenots n’eût sans doute rien trouvé de plus original et de plus grandiose. On pourrait suivre encore ailleurs que dans le second acte le grand courant de tendresse dont le génie de M. Gounod aura été pour la musique contemporaine la source la plus abondante. Nous n’avons rappelé que le duo des fiançailles, parce qu’il est le plus complet peut-être, et que l’amour y circule, comme le sang dans nos veines, en mille petits filets dont il faut suivre attentivement le réseau délié. Le duo nuptial et le duo funèbre, sans parler du madrigal du premier acte, s’imposent plus vite à l’admiration, et le public n’a pas besoin qu’on lui signale, par exemple, la merveilleuse phrase de l’alouette, ou le fameux cri : Juliette est vivante! Il n’exige pas non plus qu’on le mette en demeure d’opter, ou que nous options nous-mêmes pour Faust ou pour Roméo. Qu’il admire et qu’il aime comme cous les deux partitions sœurs, et qu’il se rappelle le mot singulier mais expressif de Victor Hugo : les chefs-d’œuvre sont comme les loups, ils ne se mangent pas entre eux.

Mais Roméo et Faust, diront peut-être les difficiles, ne sont que deux éditions du même ouvrage; Roméo n’est qu’un pastiche ou une redite de Faust. — On ne saurait, en effet, méconnaître la ressemblance et la parenté des deux ouvrages. Mais quel maître a jamais différé de lui-même? Lequel s’est renouvelé au point de ne pas se faire partout reconnaître? Mozart ne pense-t-il et n’écrit-il pas toujours comme Mozart? M. Gounod, de même, par le sa langue, celle qu’il a faite, et, avant de le lui reprocher, il faudrait reprocher aux rosiers de porter toujours des roses. Faust! Roméo! deux opéras d’amour, deux variations sur le même thème, au fond toujours la même chose. — Oui; mais l’amour aussi est au fond toujours la même chose, et personne, je crois, n’a pensé encore à s’en plaindre.

Nous tenons à féliciter chaleureusement MM. les directeurs de l’Opéra. Ils ont fait à l’œuvre de M. Gounod un accueil digne d’elle; ils lui ont rendu des honneurs d’interprétation et de mise en scène qu’elle ne trouverait pas, croyez-le bien, ailleurs qu’à Paris. Aujourd’hui qu’on ne ménage guère ces messieurs, nous qui parfois leur avons adressé des reproches, esthétiques bien entendu, mais des reproches, nous aimons à les remercier très haut.

Nous n’étions pas sans inquiétude, peut-être sans prévention, en allant écouter Mme Patti. Nous ne l’avions entendue qu’une fois; nous ne connaissions guère que par les contes de fées cette voix et cette virtuosité légendaires. De temps en temps, les journaux racontaient que Mme Patti était à Rio-de-Janeiro ou à Buenos-Ayres, qu’elle