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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/953

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a présidé à la grande cérémonie de commémoration organisée en l’honneur du député de 1851, mort pour la défense des lois ; et, pour être dans son rôle, pour mieux attester la moralité de sa démonstration contre la violation des lois, il a commencé par se mettre lui-même en dehors de toute légalité. Il a défilé à travers Paris, suivi de toute sorte de délégations, même de prétendues délégations provinciales, d’une multitude de sociétés au nom inconnu et baroque. Ces manifestans, enrégimentés par le conseil municipal sous le regard complaisant du gouvernement, étaient-ils au nombre de cent mille ou de vingt mille ? peu importe ! On a certainement fait ce qu’on a pu pour avoir une représentation « imposante. » La vérité est que ce défilé réputé « imposant » a été quelque peu morne et a ressemblé à un enterrement laïque, qu’il a passé à travers une population indifférente et presque railleuse, qui ne s’associait en rien au chant de la Carmagnole, pas même au chant de la Marseillaise. Il n’y a eu ni émeute ni trouble sérieux, c’est vrai, et c’est fort heureux. Pour le reste, la « grande » manifestation a été visiblement une tentative manquée, une « journée » révolutionnaire sans écho et sans résultat. — Au même instant, ce même jour du 2 décembre, par une coïncidence au moins singulière, le général Boulanger, de son côté, avait, lui aussi, sa manifestation à Nevers, où il présidait un banquet et où il a prononcé un discours. Pourquoi le général Boulanger éprouve-t-il de temps à autre le besoin de parler ? pourquoi n’écoute-t-il pas le bon conseil que lui donne la chanson ? Il a l’avantage de n’être jamais plus éloquent et de ne jamais mieux servir sa cause que lorsqu’il se tait, parce que ceux qui le suivent mettent dans son silence tout ce qu’ils veulent. M. le général Boulanger s’est cru néanmoins obligé de parler, de tracer un programme à Nevers. Il a mis dans son discours toute sorte de choses : la révision, l’abolition du régime parlementaire, le referendum, la décentralisation, le mandat direct ; il s’est défendu aussi de toute velléité de coup d’état, de toute préméditation contre la république. Il a mêlé l’histoire, la politique, les promesses, les réticences, non sans une certaine adresse dans son langage.

La difficulté serait seulement de comprendre au juste ce programme de Nevers. Après cela, M. le général Boulanger peut dire ce qu’il voudra. Ceux qui vont vers lui ne le suivent pas pour ce qu’il dit, et même, s’ils le comprenaient, ils ne le suivraient peut-être pas. Ils le choisissent comme le chef heureux venu à propos pour rallier tous les mécontentemens, toutes les déceptions, toutes les lassitudes, toutes les impatiences ; ils le nomment précisément parce qu’ils croient trouver en lui l’homme qui peut les délivrer des agitations révolutionnaires, dont la manifestation du 2 décembre est la plus récente expression. Sans cette illusion dangereuse qui multiplie ses partisans,