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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/954

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il ne serait rien, et ceux qui, sous prétexte d’organiser une démonstration contre les coups d’état, contre un futur dictateur, ont troublé dernièrement Paris de leur Carmagnole, n’ont pas vu qu’ils faisaient dans les provinces les affaires de celui qu’ils croyaient ruiner. Ce sont des manifestations comme celle du 2 décembre, non les discours de Nevers, qui servent la cause de M. le général Boulanger et lui font une popularité périlleuse. Les deux choses se tiennent, et si tout cela pèse aujourd’hui sur notre vie française, c’est qu’il n’y a pas un gouvernement, des pouvoirs publics faits pour reprendre la direction de l’opinion, pour raffermir le pays en lui frayant une voie entre les agitations d’un radicalisme anarchique et les périls de dictature.

Franchement, s’il y a aujourd’hui pour la France une crise aussi laborieuse que compliquée, si l’opinion se débat dans une sorte d’état maladif, trahie dans ses vœux, incertaine et livrée à toutes les tentations hasardeuses, ce n’est pas par le ministère et par M. Floquet que le mal sera réparé. Ce n’est pas la politique radicale qui peut remettre à flot le régime désemparé. Le ministère ! Mais si le danger n’avait pas existé avant lui, il l’aurait créé par son esprit, par ses connivences, par les encouragemens qu’il ne cesse de donner à tous les instincts de subversion et d’anarchie. Tout ce qui peut mettre l’instabilité et la confusion dans les affaires de la France, il le favorise, et même quand il se croit obligé de se rendre à une nécessité d’ordre public, il livre les intérêts supérieurs qu’il est chargé de défendre. C’est avec sa complicité et sous sa protection paternelle que s’est organisée cette démonstration de jactance révolutionnaire qui aurait pu compromettre la paix de Paris le 2 décembre et qui n’a échoué que devant la raison publique. C’est avec son assentiment, par une sorte de transaction inavouée, que le drapeau national a brillé par son absence dans la manifestation partant de l’Hôtel de Ville, — et c’est à ce prix, à ce prix seulement qu’on a obtenu que le drapeau rouge ne parût pas. La présence du drapeau tricolore eût été, à ce qu’il paraît, une provocation ! M. le préfet de la Seine n’a point nié le fait : il ne s’agit que de s’expliquer pour être d’accord avec M. Joffrin, une des autorités du conseil municipal. Le gouvernement, on le croirait du moins, on l’a cru jusqu’ici, est le premier gardien des institutions, de la loi qui constitue la république elle-même : il le prétend, il le dit ; mais, en même temps, c’est lui qui, pour ne pas se laisser devancer par M. le général Boulanger, inaugure officiellement la revision et la met à l’ordre du jour, en promettant de tout simplifier, en livrant d’avance l’autorité de M. le président de la république et les droits du sénat. Il prend sur lui de frapper moralement de déchéance la loi constitutionnelle qui est la dernière défense du régime.

Et cette étrange politique, qui consiste à livrer tout ce qu’on devrait