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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/961

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de compromettre et la paix intérieure et la monarchie elle-même. Les libéraux, de leur côté, — certains libéraux du moins, — n’ont pas été beaucoup plus satisfaits et se sont fatigués d’attendre des réformes dont on parlait toujours. Ils sont arrivés à la session nouvelle mécontens et excités, tout disposés à pousser le ministère dans ses derniers retranchemens. Peut-être, jusqu’au bout, M. Sagasta s’est-il flatté de contenir ces impatiences et de retrouver encore une fois sa majorité en donnant satisfaction aux plus ardens, en désarmant les hostilités de quelques-uns de ses alliés ; peut-être aussi a-t-il compté que l’intervention des conservateurs à propos des manifestations provoquées contre M. Canovas le servirait en serrant autour de lui toutes les fractions libérales. C’est l’homme des expédiens et des temporisations. Il a été cette fois trompé dans ses calculs, et à peine la session a-t-elle été ouverte, il s’est aperçu que tout marchait plus vite et autrement qu’il ne l’avait prévu. Les conservateurs n’ont rien dit pour le moment ; l’attaque est venue du camp libéral, et il a suffi de la motion plus ou moins improvisée d’un député pour provoquer l’explosion de toutes les incohérences, de toutes les scissions, pour mettre en déroute la tactique du président du conseil. C’est tout le secret de ce qui vient de se passer à Madrid.

En réalité, à part les difficultés économiques, qui ont assurément une sérieuse importance pour le pays, et qui ont usé déjà plus d’un ministre des finances, ce sont les deux questions des réformes militaires et du suffrage universel qui ont eu le principal rôle dans les derniers incidens espagnols. Que seront ces réformes militaires radicales qu’un ancien ministre de la guerre, le général Cassola, a proposées et dont il poursuit avec une âpreté violente la réalisation, même depuis qu’il a quitté le pouvoir ? Il serait difficile de le dire. Elles ont eu, dans tous les cas, la dangereuse fortune de diviser l’armée, le parlement, le gouvernement lui-même. M. Sagasta le sentait si bien qu’il a fait ce qu’il a pu, sinon pour les écarter absolument, du moins pour les ajourner ou les fractionner. Il croyait un moment avoir réussi, lorsque précisément est survenu ce député qui, dès l’ouverture de la session, a proposé de faire revivre, de remettre à l’ordre du jour les projets du général Cassola. Le président du conseil a paru d’abord visiblement déconcerté ; il a tergiversé, négocié, puis il a fini par capituler, au risque de rencontrer une opposition formidable qu’il n’avait pas voulu braver jusqu’ici. — Autre question, le suffrage universel ! M. Sagasta ne se méprend peut-être pas non plus sur le suffrage universel. Il en sent le danger ; mais il l’a promis aux démocrates qui l’appuient, et il s’est étudié, en subissant la loi de ses alliés, à préparer un projet qui établit un suffrage universel mitigé, atténué, limité par toute sorte de conditions. Malheureusement, réformes militaires et suffrage universel,