croire, de ces sites invraisemblablement jolis, trop compliqués de lacs et d’îlots, où les perspectives et les dimensions semblent fausses, où les arbres ne sont pas verts, mais peints en nuances quelconques, comme des touffes de fleurs.
Au seuil de ce salon qui vient de s’ouvrir, nous sommes sur une hauteur, dominant la réalité de tout cela; apercevant, entre quelques branches de cèdre très rapprochées qui retombent, des jardins bas, des pelouses de velours, des rochers étranges, des ruisseaux sur lesquels passent de légers ponts courbes bombés en demi-cercle, des reflets d’eaux qui dorment sous de la verdure, des fuites profondes d’avenues qui se perdent sous bois. Çà et là, sur les pentes gazonnées, il y a des touffes de « bambous argentés » qui sont des verdures presque blanches ; des a érables rouges » qui semblent des arbres en corail, et je ne sais quelles broussailles dont le feuillage est d’un violet de scabieuse. Et, au-delà de ces choses délicieusement artificielles, enfermant le tout avec un grand mystère, s’étend un vrai horizon de collines et de hautes futaies sombres, un vrai lointain qui joue la forêt et le pays sauvage. Quel étonnement que cette solitude au milieu d’une ville ; quel caprice de souverain ! — Il y a un calme particulier dans ces jardins d’ordinaire impénétrables, un silence à part, une mélancolie suprême augmentée aujourd’hui par ce déclin d’automne.
En petits groupes peu espacés, nous descendons dans ces jardins bas par des sentiers qui sont recouverts, jusqu’à perte de vue, de longs courans de nattes blanches, — sans doute pour que l’impératrice, qui elle-même descendra par là tout à l’heure, n’ait pas à poser ses petits pieds par terre, même sur ce sable très fin. Deux ou trois nouvelles fées, vêtues d’autres couleurs sans nom, sont sorties derrière nous et ferment la marche : il doit y en avoir évidemment beaucoup du même beau plumage, dans ce palais de bois blanc et de papier qui est leur quartier-général. Nous sommes maintenant une quarantaine, — Et ce sera tout, la liste est close. C’est du reste très peu, quarante personnes perdues dans ces grands jardins aux solitudes de forêt. Nous avançons presque en cortège, en troupeau de moutons, involontairement tassés, plusieurs d’entre nous ignorant où nous allons et en quoi la fête consiste.
A tous les carrefours où nous pourrions nous égarer, quelqu’un de ces laquais à gilet rouge, qui sont légion, se tient pour nous indiquer quelle route il faut suivre, quelles allées il nous est interdit de prendre. Et devant certaines parties du parc, devant certaines avenues que nous ne devons probablement pas regarder, il y a de grands voiles noirs tendus, masquant tout ; de grands voiles noirs en crêpe, à bords blancs, comme des ornemens de deuil.