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On la regarde et on l’admet sans surprise, parce qu’on sait où l’on est : dans le lieu du monde le plus raffiné peut-être et le plus rare, malgré sa simplicité voulue, qui n’est qu’un masque. Évidemment ce palais, derrière ses derniers et plus profonds panneaux de papier, doit receler des hôtes étonnans et de merveilleuses richesses.

Elle se joint à nous, la vieille petite fée, mystérieusement souriante, après un gentil salut presque ironique. Et ensuite il en surgit une autre, — et une autre encore ; leurs soies, qui sont splendides, qui sont des merveilles orientales, ont des nuances et des éclats différens ; des éclats qui, dès qu’elles se rapprochent, semblent s’exaspérer par contraste, si l’on peut dire ainsi, et devenir métalliques, presque lumineux.

Et puis elles sont jeunes, ces deux dernières, — et même jolies, ce qui est assez rare pour des Japonaises.

Tiens ! L’une d’elles, que, sans son gracieux sourire, je n’aurais pas reconnue dans sa tenue de cour, est la « comtesse Inouyé, » la femme du ministre des affaires étrangères ; je ne l’avais vue qu’au bal, dans une toilette parisienne violet mourant à longue traîne, qu’elle portait du reste avec une aisance du meilleur aloi... Et l’autre aussi, la plus jeune, je l’ai déjà rencontrée ! — La « marquise Nabeshima ! » Je crois même que j’ai eu l’honneur de valser une fois avec elle, un soir qu’elle portait, sans le moindre embarras, une toilette Louis XV, blanc crème, à paniers. — Mais était-ce au bal qu’elles étaient déguisées, — ou bien est-ce aujourd’hui?..

Notre troupe, qui s’est augmentée de quelques nouveaux venus, et qui est maintenant d’une trentaine de personnes à peu près, vient d’arriver, sans aventures ni encombres, dans un grand compartiment blanc, espèce de salon d’attente qui doit donner sur les jardins. Aucun meuble dans ce salon, cela va sans dire, ni aucun siège; seulement, à chaque angle, posée par terre, s’élève une incomparable potiche de Satsouma, de cinq ou six pieds de haut, dont le couvercle est surmonté d’un monstre souriant; et sur la blancheur virginale des murs sont jetés, comme au hasard, trois ou quatre phénix d’or, envolés, qui se poursuivent.

Il est à peine deux heures et demie, et l’impératrice, nous dit-on, ne paraîtra qu’à trois heures. Les officiers du palais, qui sont là avec nous, et les petites fées aux reflets changeans, nous invitent à aller l’attendre là-bas, au fond du parc, sur certaine colline où la fête doit se passer.

Alors les panneaux de papier transparent glissent sur leurs rainures, s’ouvrent, et les jardins apparaissent. Un beau soleil tranquille les éclaire. L’enchantement commence.

Sur des écrans, sur des porcelaines, on a vu quelquefois, sans y