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sera encore reculé ! » L’Autriche subissait le sort des peuples maltraités par le sort des armes : elle était partout éconduite.

Le comte Walewski transmit par le télégraphe le texte de la dépêche de M. de Moustier au quartier-général. On dit que Napoléon III la plaça sous les yeux de François-Joseph pour lui prouver qu’il n’avait rien à attendre de la mission du prince Windischgraetz, que la Prusse était résolue à ne consulter que ses propres intérêts, qu’elle se préoccupait moins des revers de l’Autriche que des moyens de 3’emparer de l’Allemagne. C’était de bonne guerre. Mais la dépêche de M. de Moustier n’était pas, comme l’ont prétendu des diplomates trop bien informés, une dépêche de commande, écrite pour la circonstance ; elle était l’expression fidèle, textuelle, des paroles de M. de Schleinitz.

L’Autriche était vaincue, elle avait perdu deux grandes batailles et une de ses plus belles provinces, mais la Prusse, qui avait spéculé sur ses désastres, sortait, cette fois encore, des événemens, comme en 1848 et comme en 1856 après la guerre d’Orient, les mains vides, déçue, mortifiée, moralement atteinte. Elle en tira cependant, au profit de sa réorganisation militaire, un grand et précieux enseignement. En mobilisant, elle avait constaté l’insuffisance de son armée et l’incohérence qui avait présidé à sa mise sur le pied de guerre. Elle s’appliqua aussitôt, avec une ardeur fébrile, à remanier de fond en comble son système ; elle créa l’instrument qui, bientôt, devait permettre à sa politique, mieux inspirée, de poursuivre et de réaliser les plus audacieux desseins.

L’atmosphère à Berlin s’était visiblement tempérée. — « Je parie, disait M. de Budberg au comte de Bernstorff, l’envoyé du roi à Londres, qui persistait, en enfant terrible, à tenir, malgré l’évolution de son gouvernement, le langage le plus violent contre la France, qu’avant peu d’années la Prusse proposera une alliance à l’empereur Napoléon ? Votre pays, ajoutait-il, est arrivé au moment où il ne peut plus que déchoir ou grandir, et il ne grandira qu’avec le secours de la France et de la Russie. » M. de Budberg disait vrai, mais il ne prévoyait pas, malgré sa perspicacité, que la Prusse, en s’associant à leur politique, grandirait à leurs dépens.

Quelques jours après arrivait à Berlin la nouvelle de l’armistice ; aussitôt le gouvernement prussien suspendait ses armemens et retirait ses mesures militaires. Il nous priait de lui rendre la tâche plus facile, en déclarant de notre côté que l’armée d’observation sous les ordres du duc de Malakof était supprimée. Il n’y avait là qu’une question d’amour-propre et non de sécurité, car on savait fort bien à quel chiffre dérisoire se réduisait notre armée de l’Est. On évoluait vers le vainqueur, suivant le précepte florentin ;