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on rentrait dans le fourreau l’épée dont la pointe, déjà, nous avait menacés. La diplomatie prussienne redevenait aimable, démonstrative ; elle protestait des sentimens pacifiques de sa cour. — « Vous avez moins que jamais, disait le ministre du roi à Paris, le comte de Pourtalès, quelque chose à craindre de la Prusse ; vous verrez que, de jour en jour, la ligne de démarcation entre la politique prussienne et la politique autrichienne deviendra plus tranchée. » Il ajoutait qu’on s’était mépris sur les intentions de son cabinet, qu’à aucun moment il n’avait songé à une médiation isolée, qu’il avait compris le piège de l’Autriche qui la sollicitait, mais qu’il était bien résolu à ne pas s’y laisser prendre. M. de Pourtalès, en se montrant si peu miséricordieux pour l’Autriche, trahie par la fortune, s’inspirait du programme qu’il traçait à ses amis du parti national au lendemain d’Olmütz[1] ; mais il ne traduisait pas les sentimens de sa cour, dont l’hostilité s’était si manifestement révélée par la mobilisation de son armée et sa concentration vers le Rhin. Son langage eût été bien différent si, au lieu de nos victoires, les espérances caressées secrètement à Berlin s’étaient réalisées.

Le prince-régent avait fait, en somme, une mauvaise campagne ; il s’était inutilement compromis en mobilisant tardivement ses corps d’armée et en n’intervenant pas à l’heure voulue. — « On reconnaît aujourd’hui à Berlin, disait le prince Gortchakof au duc de Montebello, qu’on eût mieux fait de suivre nos conseils ; le régent ne se serait pas exposé aux plaintes de ses populations arrachées à leurs travaux, aux reproches de l’Allemagne, qui trouve qu’il a été procédé trop lentement au gré de ses impatiences, et aux rancunes de l’Autriche, qui l’accuse d’avoir perfidement manqué à ses devoirs fédéraux. »

Le prince Gortchakof aurait pu ajouter que le régent s’était bien plus gravement compromis vis-à-vis de la France en lui révélant de haineuses tendances, à peine dissimulées, au mépris des signalés services que l’empereur avait rendus à la Prusse en la faisant admettre au congrès de Paris, contre le gré de l’Autriche et de l’Angleterre, et en s’interposant efficacement dans l’affaire de Neufchâtel.

Si Napoléon III avait su se souvenir et comprendre ses intérêts, jamais il n’eût oublié l’attitude équivoque, menaçante, du cabinet de Berlin pendant la guerre d’Italie. Il eût tiré une moralité de ses calculs, il n’eût pas donné le branle à ses ambitions, et peut-être le règne de Guillaume Ier se fût-il moins glorieusement terminé. S’il fut indulgent pour la Prusse, il poussa la mansuétude envers l’Italie

  1. Voir la lettre du comte de Pourtalès dans le volume : la Prusse et son roi pendant la guerre de Crimée, au chapitre : Olmütz.