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l’addition de la liqueur alcaline ne tarde pas à troubler et à rendre verdâtre, et dont la teinte peut d’ailleurs être artificielle, il faut procéder autrement : tantôt, comme le conseille M. Charles Girard, on décolore le vin avec le noir animal bien lavé aux acides ; tantôt, si l’on est trop pressé et qu’on préfère sacrifier la précision à la rapidité, on verse goutte à goutte le réactif, en éprouvant de temps à autre le vin essayé au moyen de papier imbibé de tournesol bleu. M. Pasteur recommande l’eau de chaux et n’emploie aucun indicateur ; d’après lui, tant qu’on n’a pas dépensé un volume suffisant de liqueur titrée, le vin reste verdâtre, et, en présence d’un excès de chaux, sa teinte passe au violet sale ; il faut se guider sur l’apparition d’un trouble floconneux nageant dans un liquide grisâtre. Enfin, nous avons à peine besoin de dire que, quel que soit le procédé choisi, on opère toujours sur quelques centimètres cubes de vin seulement ; les résultats sont ensuite ramenés au litre.

Puisque nous venons de faire allusion à la teinte des vins et à leur séparation en deux grandes classes : les vins rouges et les vins blancs, il nous faut examiner les caractères spéciaux à chacun de ces deux ordres de liquides. Nous n’avons pas la prétention d’apprendre à personne que la couleur d’un vin correspond à celle de la pellicule qui enveloppe le raisin ; de sorte que, si l’on fait fermenter le jus ou le moût en l’absence des peaux, on peut obtenir avec des raisins blancs un liquide presque incolore, et avec des raisins noirs un liquide de teinte jaunâtre ou rose. Les vins blancs contiennent une matière jaune d’une assez grande stabilité, qui leur donne leur nuance pâle caractéristique ; de plus, ils renferment fort peu de phosphate et de tannin. Sans parler du même principe jaunâtre, on trouve dans tous les vins rouges du tannin en plus ou moins grande proportion (jusqu’à 2 grammes par litre dans divers crus de Bordeaux) ; mais la teinte rouge est due à certains composés assez altérables, les uns rouges francs, les autres pourprés, dans lesquels l’analyse élémentaire a signalé la présence de l’azote et du fer, deux corps simples qui ne figuraient pas dans la composition des alcools, acides, éthers ou sels déjà mentionnés. Glénard, en 1858, parvint à recueillir une matière rouge qu’il crut d’abord être homogène et qu’il nomma arnoline ; mais, en réalité, le chimiste ne peut arriver, et avec beaucoup de peine, qu’à séparer un mélange très complexe de dérivés chimiques peu stables, de structure embrouillée, très aptes à se décomposer et à se transformer, et enfin très différens suivant les cépages. Tout ce que l’on peut dire, c’est que les œnolines et les œnocyanines (ce dernier terme désigne les colorans violacés) se dissolvent dans l’eau alcoolisée, mais non dans l’eau pure, sauf celles retirées des vins de Petit-Bouschet et des vins « teinturiers, » qu’avec le temps, et