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surtout au contact de l’air, elles s’altèrent et se précipitent avec les lies qu’elles teignent en violet, cette transformation étant elle-même attribuée à la suroxydation lente du fer[1]. Si l’équilibre chimique, au lieu de se modifier ainsi peu à peu, se rompt brusquement, le vin, jadis clair et d’un beau rouge, devient trouble et violacé ; on dit alors qu’il se « casse. » À mesure que le vin de bonne qualité vieillit, la nuance du composé jaune dont il a été question et qui, lui, se maintient inaltéré au sein du liquide, prend le dessus, et le vin adopte la couleur dite « rancio. » On n’ignore pas que cette teinte s’accentue bien plus promptement dans le cas des vins du Midi que s’il s’agit de produits récoltes dans le Nord, et cela parce que les substances violettes, douées d’une moindre résistance intrinsèque, dominent dans le vin du Roussillon, par exemple, et ne se rencontrent qu’à faibles doses dans les liquides venus de Beaune ou de Château-Laffitte. Enfin, au bout d’un temps plus ou moins long, la liqueur dégénérée devient presque incolore, tout en perdant saveur, bouquet et propriétés réconfortantes[2].

Nous avons fini d’énumérer, non sans doute la totalité des matières diffusées dans le vin, mais du moins les plus importantes dont la recherche intéresse l’agronome poursuivant un but pratique immédiat, aussi bien que le chimiste travaillant avec le seul désir de s’instruire. Mais une dernière question, et non la moins essentielle, nous reste à traiter : celle de « l’extrait sec. »

Chauffé très modérément ou même abandonné à la température ordinaire dans un vase ouvert, le vin laisse échapper des gaz : de l’azote que nous ne citons que pour mémoire et de l’acide carbonique. Ce dernier figure comme second terme principal de l’évolution chimique qu’on nomme fermentation ; il se dégage en grandes quantités des profondeurs des cuves remplies de moût ; aussi, comme chacun le sait, est-il assez abondant dans les vins nouveaux mis prématurément en bouteilles. L’on n’ignore pas, du reste, qu’il

  1. Il existe deux séries de sels à base de fer : les uns, très instables et solubles, se rattachent au protoxyde de fer ou oxyde ferreux ; ils se transforment aisément, sous l’influence de l’oxygène ou des corps oxydans, en sols ferriques à base de ses quioxydes parfois insolubles. À cette altération moléculaire correspond toujours un changement de couleur très marqué.
  2. On a essayé d’estimer scientifiquement, au moyen de divers appareils, la nuance d’un vin rouge marchand enfermé dans un réservoir en verre de dimensions et d’épaisseur constantes. Faute d’avoir à leur disposition des échantillons de vin de teinte fixe et inaltérable, les chimistes ont eu recours, comme terme de comparaison, tantôt à des couleurs du spectre solaire décomposées grâce à la polarisation chromatique (chromatomètre Andrieux), tantôt à une série d’échantillons de laine teinte d’après la méthode de M. Chevreul (colorimètre Salleron). Il nous semble que des solutions salines colorées de concentration fixe seraient propres à servir d’étalon en pareille circonstance.