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l’empereur Henri VI et à l’instigation de la reine Constance, avaient tué tout ce qui se trouvait d’Allemands dans leur île, que deux fois ils avaient eu la joie de laver leur injure dans le sang, mais que le profit avait été maigre, qu’après avoir vécu cinq mois en république, pressés vivement par les armes de Charles d’Anjou, ils en furent réduits à se donner à Pierre III d’Aragon. De quoi leur avait-il servi de massacrer 8,000 hommes ? Ils n’avaient fait que changer de maîtres. Mais qu’importait à M. Crispi ? La France s’était permis d’envoyer à Tunis un corps d’occupation, et il avait voulu lui donner un avertissement. Dès ce temps, il avait la prétention d’être le patriote, l’homme national par excellence. Ce n’était pas la haine, c’était la politique qui l’inspirait. Il cherchait une occasion de se montrer ; il l’avait trouvée, et il se montrait, et aujourd’hui encore il se montre.

Quand on a été jacobin, il en reste toujours quelque chose. M. Crispi a conservé de son passé un goût excessif pour la politique démonstrative. Arrivé tard aux grands honneurs, il a des impatiences de septuagénaire qui compte les jours et à qui il tarde de marquer son passage aux affaires par quelque action d’éclat. Il serait heureux de voir survenir quelque grande crise qui lui fournirait l’occasion de se signaler, de prouver tout ce qu’il est, tout ce qu’il peut et tout ce qu’il vaut. Mais on a beau frapper la terre du pied, il n’en sort pas toujours des événemens, et, les événemens faisant défaut, on les remplace par des manifestations. M. Crispi aime à parler haut et à faire grand : témoin ce palais immense qu’il se propose de construire près du Capitole, pour y loger le parlement, et qui, dit-on, coûtera 100 millions. Il désire qu’au milieu de tant de monumens qui perpétuent le nom de quelque pontife-roi, il y ait à Rome un édifice magnifique datant de la nouvelle ère, et qu’un jour peut-être on appellera le palais Crispi.

C’est aussi pour manifester ce qu’il a dans l’âme qu’il nous chagrine quelquefois par ses procédés cavaliers, qu’il nous cherche des chicanes, qu’il suscite des embarras, des incidens, qu’il fait beaucoup de bruit pour peu de chose. Il tient à prouver à la France combien il est susceptible sur le point d’honneur, et que, comme M. de Bismarck, il a d’orgueilleux sourcils où s’amassent facilement les tempêtes, que le Jupiter de Berlin lui a appris à tonner. Il disait l’autre jour « que depuis vingt-sept ans, l’Italie avait toujours subi quelque influence étrangère, mais qu’enfin était venu un homme qui faisait de la politique indépendante et vraiment nationale. » Les Italiens ont souri, ils savent mieux que personne ce qui en est, et que M. Crispi n’est fier qu’avec nous. Avec d’autres, il est infiniment souple et facile. Les Autrichiens eux-mêmes et les Anglais se sont plaints qu’il y avait de l’excès dans ses complaisances, dans ses doux empressemens