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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/235

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l’exécution du ministère, la guerre déclarée au radicalisme, le programme d’un gouvernement libéral et conservateur, tout y est. M. le président du conseil s’est senti visiblement un peu embarrassé et déconcerté dans sa suffisance. Il n’a trouvé rien de mieux que de traiter M. Challemel-Lacour en républicain repentant, de lui reprocher de s’être tu depuis dix ans, de n’avoir rien dit lorsqu’on commettait les « fautes » qu’il critique si amèrement et tardivement aujourd’hui. C’est possible. Et quand cela serait, le discours de M. Challemel-Lacour en est-il moins vrai ? Tardif ou non, ne reste-t-il pas la démonstration la plus décisive de la redoutable crise que les passions de parti ont créée, de la malfaisante influence de la politique radicale et de la nécessité d’un gouvernement réparateur ?

Si l’on veut saisir le caractère et la portée des paroles de M. Challemel-Lacour, qu’on mette à côté de cette retentissante manifestation le discours que M. Jules Ferry a prononcé peu après dans une réunion, et par lequel il a voulu peut-être répondre à l’orateur du sénat ou du moins prendre position à son tour. M. Jules Ferry a sans doute la prétention d’être un homme de gouvernement, même un homme modéré parmi les républicains. Il le proclame à tout propos, il le répète dans ce dernier discours destiné à être un programme pour les élections. Malheureusement son premier mot est un mot d’infatuation. Ce n’est pas lui qui ferait l’aveu de ses fautes, il en a, au contraire, l’orgueil et on pourrait dire l’arrogance. Il n’y a qu’à l’écouter. Depuis dix ans, — surtout, bien entendu, quand il était ministre, — tout a été grand ! Le gouvernement de la république a eu de grandes vues, il a poursuivi de grands desseins ! Il a comblé le pays ; il lui a donné des chemins de fer, des chemins vicinaux, des canaux dans des proportions inouïes. Il l’a inondé de lumière avec ses écoles, il l’a doté d’un enseignement sans égal, démocratique, national, universel et laïque. Rien n’avait été fait, rien n’existait avant lui, M. Jules Ferry l’assure. La laïcisation, les dépenses sans compter les déficits, tout est grandi C’est la seule confession et le seul acte de repentir que cet homme modeste puisse faire. Nous voilà bien avancés ! Mais alors si le gouvernement de la république a été si grand et a accompli de si grandes choses, s’il a couvert la France de tant de bienfaits, comment se fait-il que le pays déçu, irrité, se détache de tant de grandeurs et coure dans son trouble on ne sait après quel inconnu dont il attend un soulagement ? C’est, on en conviendra, au moins étrange.

Le fait est que M. Jules Ferry, avec ses explications, ses jactances et ses prétendues idées de gouvernement, s’embrouille un peu. Avec les apparences et les allures de l’homme d’autorité, il est le plus décevant des politiques. Il veut et il ne veut pas. Ce qu’il craint surtout aujourd’hui, c’est de paraître, comme M. Challemel-Lacour, avouer des