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l’incident le plus humiliant de l’histoire. C’est par son attachement même à la république qu’il a été éclairé, et c’est parce qu’il a vu le danger qu’il a parlé. Il sera écouté ou il ne sera pas écouté, il réussira ou il ne réussira pas. M. Challemel-Lacour, en portant à la tribune du sénat le jugement d’un homme libre sur les affaires du moment, n’a pas moins accompli un acte de courageuse honnêteté. Il n’a point reculé devant les vérités les plus dures. Il n’a pas craint d’avouer que si une partie de la France semble se détacher aujourd’hui de la république, c’est qu’on l’y a poussée en prétendant la violenter ; c’est que, par des réformes précipitées, brutalement réalisées dans l’enseignement, on s’est exposé, d’un côté, à mettre le désordre dans les finances, d’un autre côté, à inquiéter, à troubler la masse des populations françaises dans leurs habitudes et dans leurs croyances. L’orateur du sénat n’a point hésité à montrer une des causes les plus actives du mal dans l’invasion croissante de l’esprit radical, dont le ministère de M. Floquet est la dernière et présomptueuse personnification. Il a signalé avec autant d’autorité que de précision les lois téméraires, les mesures malheureuses, le dédain des opinions qu’on devait respecter, l’affaiblissement de toute autorité, le régime parlementaire compromis par les fautes des partis, le gouvernement lui-même livrant la stabilité des institutions.

C’est assurément la plus vigoureuse et la plus saisissante analyse d’une situation profondément altérée, où les pouvoirs publics semblent paralysés ou ahuris devant un de ces mouvemens qui peuvent emporter un pays dans tous les hasards. Laissera-t-on cependant ce périlleux mouvement aller jusqu’au bout, et comment réussira-t-on à le vaincre ou à le détourner, à ramener autant que possible les esprits désorientés ? C’est précisément la question qui ne cesse d’être agitée, et M. Challemel-Lacour lui-même l’aborde sans subterfuge, avec une sincérité hardie. Il a signalé le mal, il ne recule pas devant le remède, devant ce qui aurait pu être et ce qui est peut-être encore le seul et dernier remède. Il n’hésite point, quant à lui, à s’adresser, non-seulement aux hommes sensés et éclairés du parti républicain, mais aux hommes désintéressés de tous les partis, à tous ceux qui tiennent à sauvegarder le régime parlementaire, souveraine expression et dernière garantie des libertés de la France. Il leur montre à tous la nécessité d’un gouvernement résolu à raffermir d’abord la constitution ébranlée, à ramener les corps publics, — y compris sans doute le conseil municipal de Paris, — au respect des lois, à faire rentrer l’ordre dans les finances, la discipline dans l’administration, à rendre la confiance aux intérêts troublés et aux croyances inquiètes. C’est la moralité et la sanction du discours. L’aveu des fautes qui ont été comtoises, l’appel à toutes les bonnes volontés pour les réparer,