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à tant d’autres. Il est curieux que les idées les plus justes, les plus raisonnables, les plus équitables aussi en cette matière, aient été émises, à la fin du dernier siècle, par deux sceptiques, on pourrait dire deux athées : David Hume et Adam Smith. Ce n’est certes pas en homme religieux, mais en politique prévoyant, que parlait Hume quand, après avoir décrit les inconvéniens pratiques que pouvait avoir l’exaltation des « inspirés prédicans, » il conseillait à l’état de les modérer indirectement par de bons offices : « Au bout de tout, concluait-il, le magistrat civil finira par s’apercevoir qu’il a payé bien cher son économie prétendue d’épargner la dépense d’un établissement fixe pour les prêtres, et que, en réalité, la manière la plus avantageuse et la plus décente dont il puisse composer avec les guides spirituels, c’est d’acheter leur indolence en assignant des salaires fixes à leur profession, et leur rendant superflue toute autre activité que celle qui se bornera simplement à empêcher leur troupeau d’aller s’égarer loin de leur bercail à la recherche d’une nouvelle pâture ; et, sous ce rapport, les établissemens ecclésiastiques, qui d’abord ont été fondés par des vues religieuses, finissent cependant par servir avantageusement les intérêts politiques de la société. » Il y a loin de ces vues judicieuses d’un sceptique avisé aux frivoles déclamations des démocrates contemporains. Quant à Adam Smith, il établit, en ce qui concerne le problème de la séparation des églises et de l’état, une distinction qui nous paraît capitale, et que nous ne voyons pas qu’on se soit rappelée. Dans un pays, dit-il, où il y a plusieurs centaines de sectes qui se partagent, sinon par parts égales, du moins sans prédominance accentuée de deux ou trois d’entre elles, l’opinion des habitans, l’état peut ne pas s’occuper d’elles, malgré « l’insociabilité habituelle aux petites sectes ; » elles se tiennent en échec mutuellement. « Mais il en est tout autrement dans un pays où il y a une religion établie ou dominante. Dans ce cas, le souverain ne peut jamais se regarder comme en sûreté, à moins qu’il n’ait les moyens de se donner une influence considérable sur la plupart de ceux qui enseignent cette religion. » Or, ce moyen, ce ne peut être que les récompenses, les bénéfices, un concours habilement exercé dans les nominations. Le philosophe écossais ne laisse aucune ambiguïté à sa pensée. Il s’agit pour lui de contenir le clergé non par la violence, mais par une bienveillance adroite : « La crainte, ajoute-t-il, est presque toujours un mauvais ressort de gouvernement, et elle ne devrait surtout être jamais employée contre aucune classe d’hommes qui ait la moindre prétention à l’indépendance. En cherchant à les effrayer, on ne ferait qu’aigrir leur mauvaise humeur et les fortifier dans une résistance qu’avec des manières plus douces on aurait pu les amener peut-être aisément ou à modérer ou à abandonner tout à fait. » Voilà comment