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s’exprimaient, en plein triomphe du voltairianisme, deux philosophes sagaces ; ils n’avaient l’expérience ni des luttes de la révolution française contre l’église, ni du Culturkampf allemand, ni de tous les démêlés récens du canton de Genève ou de la Suisse avec l’église catholique, ni de la scission opérée, cent ans après la révolution, dans la population française ; mais ils avaient le souvenir de toutes les luttes ardentes de l’antiquité, du moyen âge et des temps modernes entre les états et les religions ; puis, surtout, ils connaissaient le cœur de l’homme, science rare et que les politiciens des démocraties ont presque toujours méconnue. La séparation des églises et de l’état, si justifiée par des circonstances historiques et par la multiplicité des sectes aux États-Unis d’Amérique, doit être considérée, sur notre continent européen, comme un des projets les plus subversifs de la paix et de la cohésion sociale.

On doit juger superficielle l’objection souvent répétée que l’état, en soutenant, ou en subventionnant des églises qui sont en lutte sur les questions de doctrine, comme l’église catholique, deux églises protestantes et le judaïsme, prête son concours à des théories contradictoires, dont trois sont nécessairement fausses, en admettant que l’une soit vraie. C’est là un raisonnement d’enfant ou de pédant. L’état en reconnaissant, et même en salariant des églises diverses, ne peut pas avoir la prétention de se prononcer sur la véracité des dogmes de chacune d’elles ; il n’a pour le faire aucune qualité. Il se borne à juger que le culte et l’instruction religieuse, même sous des formes différentes et avec des variantes dogmatiques, exercent une utile action sociale et morale, qu’en outre il y aurait de l’imprudence de la part de l’état à prendre vis-à-vis d’aussi grandes forces une altitude d’indifférence qui finirait par être considérée comme de l’hostilité et par la provoquer. Il agit ainsi en pacificateur éclairé et prévoyant.


II

Si l’état moderne tend à méconnaître la force des religions, s’il est téméraire en se montrant envers elles, soit rogue, soit agressif, il témoigne, au contraire, pour l’éducation ou plutôt l’instruction du peuple d’un zèle infatigable. Il accumule à ce sujet les lois, les circulaires, les subventions. Il est saisi, pour cette tâche, d’un engouement, d’un fanatisme empreints d’illusions naïves. Dans cette œuvre qu’il considère comme sa mission principale, le sentiment général qui l’anime part d’un bon naturel ; il conduit parfois à des aberrations. On peut se demander si avec cette passion irréfléchie qui le porte à transformer toutes les connaissances en enseignement dogmatique, officiel et universel, l’état ne s’expose pas à troubler une