Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/314

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
III

Après l’instruction, l’assistance publique est un des domaines que l’état moderne se sent le plus disposé à accaparer. Il y entre avec des illusions généreuses, croyant que rien ne peut résister au double pouvoir dont il dispose : la contrainte légale et la contrainte fiscale. Dans tous les pays, en Angleterre, en Allemagne, en Italie, en France, une partie de l’opinion publique considère que l’existence d’une classe de pauvres est incompatible, avec un état bien gouverné. Il en résulte une tendance de l’état à intervenir à outrance dans les institutions charitables, à les généraliser sans mesure. Il n’est pas difficile de remonter à l’origine de cette disposition d’esprit, qui part de bons motifs et conduit souvent à de déplorables résultats. Un homme public anglais, économiste à ses heures, M. Goschen, a trouvé une formule ingénieuse, c’est « le remplacement de la conscience individuelle par la conscience sociale ou collective. » Il resterait à voir si ce remplacement est de nature à rehausser la dignité de l’homme et s’il peut vraiment diminuer la somme de misères dont gémit l’humanité. À cette poussée que subit l’état moderne pour tenter, par tous les expédiens, de supprimer ce que l’on appelle le paupérisme, l’observation peut découvrir des causes plus précises. La généralité des hommes croit que le paupérisme est un fléau nouveau, qu’il a été enfanté par la civilisation contemporaine, particulièrement par le développement industriel ; cette conception est erronée. Loin que le nombre des pauvres ait augmenté dans les sociétés civilisées, toutes les recherches exactes démontrent qu’il a diminué[1] ; il est vraisemblable, si l’état ne contribue pas à l’entretenir par une intervention maladroite, qu’il se réduira encore. Mais l’adaptation d’une société à des conditions nouvelles d’existence, le passage, par exemple, de la petite industrie à la grande demande du temps ; c’est une évolution lente. Au début, l’on n’en aperçoit que les effets perturbateurs ; les effets compensateurs sont moins visibles au regard inattentif. Or l’impatience des âmes contemporaines, sentimentales, fiévreuses, nerveuses, aux impressions rapides et superficielles, néglige les progrès accomplis, si considérables qu’ils soient, et s’imagine pouvoir d’un bond atteindre tout le progrès possible. On se sent pris alors d’une sorte de mépris pour l’initiative privée, pour les œuvres lentes ou

  1. On nous permettra de renvoyer pour la preuve à notre Essai sur la répartition des richesses et sur la tendance à une moindre inégalité des conditions (3e édition).