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prouvé que, simple aumônier, je suppose, d’un établissement conduit suivant des règles bureaucratiques, ce saint homme eût pu accomplir la belle œuvre qui a illustré son nom. De même, c’est à des établissemens privés en général que sont dus les récens perfectionnemens dans l’organisation des asiles d’aliénés et dans leur traitement, la dissémination de ces malheureux dans des maisonnettes à la campagne, y jouissant d’une liberté relative, au lieu de leur casernement dans d’énormes édifices urbains ou faubouriens.

La seconde cause de pauvreté provient de certaines circonstances sociales, comme les déplacemens qu’amènent les machines, les changemens de procédés industriels, tous les aléas que comporte, suivant l’expression de Proudhon, « le travail divisé et engrené. » Il ne s’agit là, en général, que d’une pauvreté passagère, qu’auraient pu prévenir, soit totalement, soit partiellement, la prévoyance et l’économie. L’intervention des pouvoirs publics peut avoir ici des inconvéniens graves : elle tendrait à enlever toute énergie, toute élasticité d’esprit à ceux qu’elle prétendrait soulager. Il en résulterait une regrettable dépression de l’état mental de la population ouvrière. Tout au plus peut-on admettre que, dans des crises locales d’une exceptionnelle intensité, comme celle qui, dans le courant de ce siècle, a frappé une ou deux fois la ville de Lyon, et qui, lors de la guerre de sécession, a affligé les districts cotonniers, l’état peut ouvrir quelques chantiers de travaux publics utiles pour aider à franchir la crise. Mais la mesure est difficile à garder, et l’excès a des inconvéniens graves, aussi bien immédiats que lointains. C’est ici que les institutions libres de secours mutuels et les œuvres diverses de patronage peuvent offrir de l’efficacité. Elles ont un grand mérite, qu’aucune entreprise d’état ne pourra jamais posséder, celui de se prêter à des adaptations très nombreuses, très variables, suivant tous les besoins contingens auxquels elles doivent pourvoir. Les organisations d’assurance ont ici un rôle tout indiqué. La pire prétention de la démocratie moderne, ce qui doit, si l’on n’y prend garde, la conduire à la servitude et à l’abaissement, c’est la prétention de supprimer le patronage libre, soit individuel, soit collectif, le lien moral et méritoire entre les classes. Au patronage ingénieux, discret, persévérant et réservé, il appartient d’adoucir ou de prévenir beaucoup de misères, celles qui sont particulièrement excusables et intéressantes.

Beaucoup de victimes sont faites par la troisième cause de pauvreté, celle qui tient aux parens et aux antécédens de la famille. L’indigence héréditaire constitue le vrai paupérisme. La société n’est pas dépourvue de tous moyens d’action contre cette catégorie