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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/318

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de l’indigence était certainement beaucoup plus grande qu’aujourd’hui, et son hérédité au moins égale.

Le phénomène étant permanent, les causes ne peuvent être que permanentes. D’où vient cette plaie dont l’humanité, sous toutes ses formes, dans toutes les phases de son développement, a toujours été affligée ? Un examen attentif conduit à classer en quatre catégories principales les causes de la pauvreté : celles qui proviennent de la nature seule ; celles qui tiennent à certaines circonstances sociales ; celles qui se rattachent aux parens ou aux prédécesseurs du pauvre ; celles enfin qui résident dans le pauvre lui-même. Toute pauvreté mérite commisération, et, dans une limite variable, des secours ; mais, suivant leur origine, aux divers cas de pauvreté doivent correspondre des degrés divers de sympathie et d’aide ; telle nature de pitié et d’assistance qui serait légitime et bienfaisante pour les malheureux dont l’indigence est due à l’une des trois premières causes serait, au contraire, imméritée et dangereuse pour les indigens devant à la dernière cause leur situation.

La pauvreté qui tient à la nature seule est surtout celle qui se manifeste par des infirmités de naissance ou d’accident : les sourds-muets, les aveugles, les aliénés même, quoique l’aliénation mentale ait souvent été préparée par le vice. On y peut joindre aussi pour les familles la mort prématurée des parens. Dans tous ces cas, la pitié, si je puis m’exprimer ainsi, peut être totale et sans réserve, le secours peut être intégral. Des arrangemens sociaux divers, les uns volontaires, d’autres reposant sur l’action directe des pouvoirs publics, peuvent légitimement soulager ou atténuer ces maux. Des instituts de sourds muets ou d’aveugles, surtout si on s’efforce de donner à ces infirmes un gagne-pain, des asiles d’aliénés, honorent une civilisation ; ils n’ont, en outre, pour peu qu’on y apporte une gestion exempte de gaspillage et de luxe intempestif, aucun grave inconvénient social. Personne, en effet, ne se rendra aveugle, ni sourd-muet, ni fou, simplement parce qu’il se trouvera des établissemens pour recueillir ces malheureux. Tout au plus pourrait-on dire que les familles, comptant sur ces secours extérieurs, ne feront pas toujours pour leurs infirmes tous les sacrifices que régulièrement elles auraient pu faire ; c’est un mal, mais toute charité entraîne des maux, et celui-ci n’est que secondaire. Encore ne doit-on pas conférer aux seuls pouvoirs publics le soin de secourir ce genre de détresse ; il faut y admettre en participation l’initiative privée, qui apporte toujours avec elle d’inappréciables élémens de souplesse, d’ingéniosité, de variété et d’invention. Ce fut une institution purement privée que celle de l’abbé de l’Épée, et il n’est pas