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vices qu’il serait chimérique d’espérer vaincre : le principal, c’est la fainéantise. Il y aura toujours sur cette terre des hommes sans courage, préférant l’incertitude du pain quotidien à l’effort régulier ; il y aura des Diogènes pratiques, aimant la vie animale, oisive, des sortes de philosophes cyniques qui, par conviction aussi bien que par faiblesse, ne voudront jamais acheter le confortable et la dignité au prix de la tension continue de leurs muscles ou de leur esprit. Tout ce que l’éducation peut faire pour combattre ces penchans, l’assistance, avec la régularité ou la probabilité de ses secours ou de ses aumônes, le détruit. L’assistance légale en Angleterre, en 1887, secourait 110,000 pauvres capables de travail (adults ablebodied). En France, une expérience des plus intéressantes a été faite dans ces temps récens. M. Monod, directeur au ministère de l’intérieur, la racontait l’été dernier à l’ouverture du conseil supérieur de l’assistance publique. Un homme de bien voulut se rendre compte de la part de vérité que contiennent les plaintes des mendians valides, il s’entendit avec quelques braves gens, négocians ou industriels, qui s’engagèrent à donner du travail avec un salaire de 4 francs par jour, pendant trois jours, à toute personne se présentant munie d’une lettre de lui. En huit mois, il eut à s’occuper de 727 mendians valides, qui, tous, se lamentaient de n’avoir pas d’ouvrage. Chacun d’eux fut avisé de revenir le lendemain prendre une lettre qui le ferait employer pour II francs par jour dans une usine ou dans un magasin. Plus de la moitié (415) ne vinrent même pas prendre la lettre. D’autres en grand nombre (138) la prirent, mais ne la présentèrent pas au destinataire. D’autres vinrent, travaillèrent une demi-journée, réclamèrent 2 francs, et on ne les revit plus. Parmi le restant, la plupart disparurent, la première journée faite. En définitive, sur 727, on n’en trouvait que 18 au travail à la fin de la troisième journée. M. Monod en concluait que sur 40 mendians valides, il ne s’en rencontrait qu’un qui fut sérieusement disposé à travailler moyennant un bon salaire. Puis, avec cette logique particulière aux fonctionnaires publics, le directeur du ministère de l’intérieur, homme distingué cependant, concluait en faveur de la charité légale. Cette charité légale, voilà près de trois siècles qu’on l’applique en Angleterre. Établie sous Elisabeth, dans des circonstances exceptionnelles, au lendemain de la suppression des couvens et au milieu d’une crise agricole, qui résultait de la substitution, dans dévastes districts, du pâturage au labourage, la Poor law a fonctionné assez longtemps, sous des régimes assez divers, pour qu’on en puisse apprécier les effets. Elle n’a pas supprimé le paupérisme ; on peut supposer qu’elle l’a plutôt augmenté ; elle a éteint le sentiment de la prévoyance, de la