Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/322

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

responsabilité personnelle, de la dignité ; elle a étouffé les vertus de famille dans toute une partie de la classe ouvrière britannique. Les secours proportionnels au nombre d’enfans y encourageaient la débauche, au point que, dans certains districts, on ne rencontrait plus de jeunes filles d’une conduite régulière. Le rapport des commissaires des lois des pauvres en 1831 l’affirme avec netteté. Quand on modifia la loi des pauvres en 1834, elle avait ruiné une partie des campagnes anglaises, et, par le poids des taxes, fait abandonner la culture de quantités de fermes. Réformée à cette époque, devenue plus dure, infligeant aux pauvres des workhouses un traitement qui ne diffère guère de celui des condamnés dans les prisons, l’assistance légale, malgré quelques adoucissemens dans ces temps récens et le développement des secours à domicile, n’exerce pas plus d’effet sur l’extensivité et l’intensité du paupérisme en Angleterre que la plupart des spécifiques des charlatans n’en ont sur les maladies physiques les plus graves. On a beaucoup prôné un système d’alliance de l’assistance publique et de la charité individuelle, qui est connu sous le nom de système d’Elberfeld, et qui est pratiqué dans cette ville depuis 1853. Il aurait réduit la proportion des indigens dans cette ville de 1 sur 12 habitans à 1 sur 83. Les procédés suivis à Ehberfeld n’ont rien de bien original ; ils consistent seulement dans des visites fréquentes aux pauvres et dans une sorte de direction morale exercée sur chacun d’eux ; c’est l’opposé de l’organisation bureaucratique de l’assistance et de la charité légale dans le sens strict du mot.

Tout régime qui reconnaît à l’indigent un droit strict aux secours est essentiellement démoralisateur et multiplie le fléau qu’il prétend extirper. Étant donné le penchant de l’homme à l’indolence, sa tendance à sacrifier la sécurité du lendemain aux jouissances du jour présent, si les pauvres sont à peu près aussi assurés de vivre avec un minimum de bien-être que les gens qui travaillent, que les hommes du moins qui vivent des métiers inférieurs, le principal attrait au travail, qui est la nécessité, s’évanouit. On produit ainsi deux maux : d’une part, on diminue la production, puisque des individus valides sont secourus sans travailler ; d’une autre part, on fait un prélèvement sur cette production diminuée pour nourrir des fainéans. On accable le travailleur au profit du paresseux.

On menace la France, à l’heure actuelle, de l’établissement d’une assistance officielle dans les campagnes. L’esprit des bureaucrates ou des parlementaires, également féconds en niaiseries nuisibles, pourrait difficilement inventer une mesure plus préjudiciable au pays. Autant vaut dire qu’on se propose de multiplier dans les